Electrabel-GDF Suez fait de la résistance, puis cède au Ministre, mais veut sauver les apparences. Suite de mes notes électricité du 25/09/2009, du 13/05/2011 et du 27/10/2011

 

Le groupe Electrabel-GDF Suez a été obligé par le gouvernement belge de réduire les prix  qu’il impose à ses clients « inertes », clients qui lui ont été confiés (sans appel d’offre) par des intercommunales lors de la libéralisation. Cette réduction des prix imposée par le Ministre de l’économie, combinée à une éventuelle continuation de la perte de clients,  va réduire les bénéfices (encore considérables) réalisés par Electrabel en Belgique d’un montant approximatif probable de 500 à   600  millions d euros. Étant donné l’importance de la Belgique pour le groupe GDF Suez, la société a été obligée de faire un avertissement sur résultats, annonçant que leur attente de bénéfices globaux en 2013 baissait d un montant comparable de 600 à 700 millions. Ceci leur laisse encore des marges bénéficiaires très élevées en Belgique ; l électricité en Belgique ne représente plus  que 5% du chiffre d affaire du groupe GDF Suez, mais probablement 50% de ses bénéfices en 2012, et pas beaucoup moins en 2013. Pour ne pas donner l impression de céder au gouvernement belge, ni faire perdre la face à ceux qui les soutenaient dans leur lobbying, ils ont préféré communiquer dans l ordre inverse, annonçant d’abord la baisse de leurs résultats globaux, officiellement  en raison de la « faiblesse de la conjoncture européenne », pour ensuite annoncer une « guerre commerciale » de reconquête du marché en Belgique, en esquissant même des  « restructurations nécessaires ». Mâles propos qui n’ont pas trompé l’observateur attentif. Tout ceci apporte diverses confirmations ;1) la Belgique reste la vache à lait d’un groupe dont les activités sont ailleurs bien moins rentables ;2) la communication d’Electrabel par rapport à sa rentabilité en Belgique reste très peu fiable 3) le manque de fiabilité des chiffres communiqués par Electrabel justifie à posteriori la non-application par le gouvernement belge du protocole de 2009, basé sur des informations trompeuses quant à la rentabilité de ses activités électriques en Belgique.

Annexe, pour le lecteur qui veut plus de détails

Les annonces des dernières semaines relatives au groupe GDFSuez et leur filiale belge Electrabel sont d’un grand intérêt pour qui s’intéresse au secteur belge de l’électricité, et à la communication d’entreprise en général.

Pour rappel, la version officielle, ou version  X :

-          le 5-6 décembre 2012, GDFSuez fait un avertissement sur résultats. Ils expliquent que la conjoncture européenne reste mauvaise, et que leurs résultats en seront impactés ; ceci est curieux car la conjoncture ne s’est pas dégradée, mais ils revoient  à la baisse de 25% leurs prévisions de résultats nets pour 2013 et 2014. Avertissement retentissant sur résultat, le cours de bourse baisse de 15%.  Dans la foulée, ils annoncent des réductions de coûts, et des actions énergiques pour enrayer les pertes de parts de marché d’Electrabel en Belgique, certains journaux parlent d’une « reprise en main par Paris », avec allusion (ça se fait beaucoup) à un problème de rentabilité, et même de gestion en Belgique ( voir la presse du 7 décembre 2012).

-          Le 12 décembre, Electrabel annonce des fortes baisses de prix pour ses clients belges, car ils ont pu renégocier leurs contrats d’approvisionnement (contrairement à leurs affirmations précédentes, même récentes), et « veulent en faire profiter » leurs clients belges.

On peut bien sûr croire à cette version  X, venant d’Electrabel et GDFSuez, et relayée par divers média, avec un degré variable de fidélité. Mais on peut aussi se remémorer certains éléments, et  envisager une version Y. Quelques éléments ;

-          le gouvernement belge demande depuis un certain temps qu’Electrabel modifie  le mode d’indexation  des prix de l’électricité et du gaz pour ses clients anciens, les clients « inertes ». Electrabel pratique une indexation largement basée sur les prix du pétrole (et d’autres éléments peu liés à ses prix de revient), alors que tant le gaz que l’électricité ont des marchés spécifiques, sur lesquels les prix sont plus bas. De plus, pour l’électricité, Electrabel dispose de capacités de production belges (nucléaire, charbon,etc) à prix de revient particulièrement faible, et stable. Les clients anciens et fidèles d’Electrabel payent aussi plus cher que les tarifs que pratique Electrabel pour de nouveaux clients, ou pour des clients anciens qui demandent à changer,  ce qui donne une impression « désagréable » . Il est fort probable que cette politique de prix est dictée par GDFSuez à Paris, qui a des problèmes de rentabilité dans de nombreuses filiales, a fait des acquisitions trop chères dans le monde entier, et a des problèmes de gestion.  Mais Electrabel faisait encore en novembre 2012 d’intenses pressions pour réintroduire cette indexation fallacieuse auprès du gouvernement et de nombreux parlementaires belges. Ses coûts de production sont liés au pétrole, et incompressibles dit-elle alors.

-          Le 29-30 novembre, le gouvernement belge tranche. Le gel des prix sera terminé au  1er janvier, les indexations pétrole interdites, et Electrabel est prié d’annoncer pour le 1er janvier au plus tard une adaptation et une motivation des prix pratiqués pour ses clients « inertes » ; ceux qui n’ont jamais changé de fournisseur et payent  15 à 20 % de plus que les autres.

-          Electrabel-GDFSuez, ne peut que se plier à cette décision du gouvernement belge, mais souhaite toujours masquer l’importance des bénéfices d’Electrabel, par peur continue des réactions du gouvernement et des consommateurs belges. Ils annoncent des baisses de prix représentant en moyenne entre 100 et 200  euros par ménage selon leurs affirmations. Même dans le bas de la fourchette, pour plus de 3,2 millions de clients, cela représente plusieurs centaines de millions d’euros par an,et si on y ajoute les manques à gagner consécutifs à une éventuelle continuation de perte de clients, la réduction de bénéfices pourrait atteindre 50 à 600 millions ou près de 20 % des bénéfices du groupe GDF Suez. On comprend la nécessité d’un avertissement sur résultats de la part de celui-ci.

Commentaire complémentaire

-          On trouve ici probablement une confirmation du niveau réel des bénéfices d’Electrabel en production et fourniture d’électricité en Belgique. Pour ce qui concerne la Production,  on sait depuis 2010 que la rente nucléaire (les bénéfices anormaux réalisés par Electrabel sur les centrales nucléaires amorties), représentait au minimum 900 millions à 1,5 milliard en 2007 (études respectivement de la Banque Nationale de Belgique et de la CREG), les estimations se resserrant vers 1,3 milliard pour les années à partir de 2008. A cela il faut ajouter les montants qu’Electrabel gagne sur la production charbon et renouvelable, et sur les rémunérations qu’elle perçoit pour la mise à disposition du réseau de ses unités de réserve (qui ont pourtant aussi été entièrement payées par les consommateurs avant 2005).  En matière de Fourniture,  Electrabel octroie des réductions de prix  sur l’électricité (annoncées par Electrabel comme étant environ le quart  des réductions totales) d’un montant probable de l’ordre de 100 à 150  millions, mais la rentabilité  d’Electrabel jusque 2012 pour l’activité de fourniture d’électricité aux particuliers etPMEétait probablement beaucoup plus élevée, de près de 500 millions  d’euros annuels. Au total, on atteindrait ainsi d’une autre façon encore les 2,5 milliards que j’ai estimé dans les notes de 2009-2011. Ces dernières années Electrabel ne déclare pourtant qu’un bénéfice de 8 à 900 millions, et très peu d’impôts. A partir de 2012, ce bénéfice électrique belge, et sa part dans les bénéfices du groupe, vont donc quelque peu baisser (en 2012 à cause de l’arrêt de 2 centrales nucléaires, ensuite à cause des réductions de prix et pertes de clients), tout en restant considérables.

-          Le Gouvernement belge aurait intérêt à bien identifier ces vices de communication. Dans le différend qui l’oppose à GDF/Suez, relatif aux conditions financières de la prolongation des centrales nucléaires, le Gouvernement belge peut arguer que le protocole de 2009 (non appliqué) avait été conclu en fonction d’informations erronées, communiquées par GDF/Suez (qui prétendait encore en 2008-2009 qu’il n’y avait pas de rente  nucléaire).  Les résultats d’Electrabel ont été maquillés à la baisse (probablement via des prix de transfert et des facturations internes), probablement pour éviter l’impôt en Belgique, et pour cacher le niveau anormalement élevé des marges bénéficiaire et des prix pratiqués par Electrabel en abus de position dominante.  Ceci justifierait entre autres qu’à l’avenir, le coût de financement des énergies renouvelables soit beaucoup plus mis à charge des producteurs bénéficiant de rentes de situation que des consommateurs. Une plus grande transparence sur les prix de revient et la rentabilité des activités belges d’Electrabel est en tout cas indispensable.

-          En tout cas tout ceci démontre que les affirmations de GDF/Suez sont peu crédibles lorsqu’ils prétendent que le climat réglementaire et le niveau trop faible de leur rentabilité en Belgique pourrait les amener à quitter la Belgique et que aucun autre investisseur ne voudrait les remplacer. Ou que des problèmes de rentabilité en Belgique justifierait de restructurations.  La rentabilité des activités électriques de GDF/Suez en Belgique reste une des plus élevée au monde, en tout cas  nettement supérieure à celle qu’ils obtiennent dans les autres pays où ils opèrent.

Eric De Keuleneer19 décembre 2012

 

Ce texte est écrit en fonction d’analyses personnelles que j’effectue sur le secteur depuis une quinzaine d’années, avec pour objectif d’encourager la transparence et le respect des consommateurs dans le marché belge de l’électricité. Je suis depuis le début de cette année administrateur indépendant chez Lampiris.  Je crois nécessaire de le mentionner, même si je m’exprime ici à titre tout à personnel.

 

Banques éthiques, banques Islamiques

Certaines banques présentent un profil spécifique de type moral, qui s’inscrit dans deux cadres principaux : la finance éthique et la finance islamique. Les deux approches visent à  répondre à la demande de clients qui souhaitent moraliser leurs placements financiers, et plus largement aussi l’activité économique et financière.

La Finance Ethique, dans sa première version, concernait principalement la gestion de fortune à l’intention de congrégations religieuses. Des portefeuilles et des fonds d’investissements spécialisés  excluaient d’investir dans les actions de sociétés du secteur de l’alcool, du tabac, etc.  Depuis les années 1990, certains fonds ont ajouté à ces premiers critères une approche de « Responsabilité Sociale (ou Sociétale) ». Cette approche va plus loin que les pratiques d’exclusion de la finance éthique, et vise à favoriser des investissements dans des entreprises démontrant un comportement respectueux de leur rôle dans la Société à divers égards. Nous parlerons de ces Fonds d’Investissements à la Section 5.2.2 et évoquerons la problématique du contrôle de leursinformations, qui encourage l’apparition d’agences de notation spécialisées, pas encore toutes très convaincantes d’ailleurs.

Il existe aussi un secteur de « banques éthiques », secteur de volume limité mais qui, grâce à la crédibilité de longue durée de certains acteurs, exerce une influence non-négligeable au Benelux en Allemagne, en Scandinavie,… Il est  composé d’une part de banques  commerciales de type traditionnel qui proposent des placements éthiques ou socialement responsables et  s’engagent à ne prêter qu’à des conditions éthiques et à fonctionner avec un profit raisonnable et des rémunérations raisonnables – ce qui met aussi en lumière que dans de nombreuses autres banques l’accroissement des rémunérations et la généralisation des bonus ont été de pair avec une réduction de l’éthique de comportement-. Ce secteur comprend aussi d’autre part des sociétés ou  coopératives de crédit éthique ou solidaire, avec le même but, ainsi que celui de lutter contre l’exclusion financière. Les institutions de micro-crédit en Europe entrent généralement dans cette dernière catégorie, malgré quelques exceptions qui espèrent y avoir trouvé une nouvelle source de profit élevé pour des investisseurs ou des intermédiaires.

La Finance Islamique est proche de la Finance Ethique, mais son encadrement va plus loin et elle est plus codifiée.  La Finance Islamique doit répondre à deux grandes exigences : premièrement, les  institutions financières ne peuvent payer ou recevoir des intérêts au sens habituel, c’est-à-dire une rémunération d’un prêt ou d’un crédit sans participation à un risque économique (en plus du  risque-crédit)[1].  Deuxièmement, comme dans le reste de la finance éthique, certains financements sont interdits : secteurs de  l’alcool, du tabac, mais également des paris et des jeux, certaines activités alimentaires, etc. De plus, la Finance Islamique proscrit les financements qui ne sont pas basés sur des activités réelles, donc les activités spéculatives. Les financements par fonds propres ne sont certainement pas découragés.

Il existe d’une part des banques islamiques qui s’engagent à fonctionner en tous points conformément aux règles de la Finance Islamique.  Il y a aussi des banques internationales qui pratiquent la finance islamique à côté de leurs activités professionnelles ; elles doivent alors suffisamment canaliser et isoler ces activités islamiques du reste de leurs activités.

La conformité des activités de Finance Islamique par rapport aux principes doit être vérifiée par un conseil de la Sharia, généralement localisé au sein de la Banque, mais jouissant en principe d’une grande indépendance de décision, et fonctionnant en général avec rigueur. La Finance Islamique a généralement des  règles plus strictes et normalisées que la Finance Ethique ou Socialement Responsable, et un contrôle sur la fiabilité du respect des règles plus convaincant.

 Ces deux secteurs sont d’importance croissante, et porteurs d’espoir d’un assainissement de certaines pratiques financières, mais leurs acteurs devront encore faire face à de nombreux défis, entre autres en matière de transparence, de praticabilité et crédibilité des contrôles, d’universalité des normes, etc.  Ils font l’objet de recherches et de publications nombreuses, et nous ne les étudierons pas en détail dans ce livre.


[1] L’interdiction de rémunération sans risque correspond à une interdiction de l’usure, appelée dans l’Islam Riba.  Certains exégètes considèrent que l’interdiction de la Riba vise à interdire un taux d’intérêt excessif, mais le courant majoritaire qui s’est aujourd’hui imposé exige l’interdiction pure et simple du taux d’intérêt.  La finance islamique a développé, ces dernières décennies, un certain nombre d’instruments qui combinent une rémunération proche d’un intérêt, avec un certain risque, afin d’offrir des produits de dépôt et de crédit.

 

« Scinder les banques ? Nécessaire, pas suffisant »

Pierre-Henri Thomas
Jeudi 29 novembre 2012, 09h17

Scinder les activités de banque d’affaires et banque commerciale comme le veut le gouvernement ne résoudra pas tout.  Mais cela améliorera le contrôle et la gestion des risques.  Et les banques belges ne s’en trouveront pas handicapées.

  • Lors du dernier conclave budgétaire, le gouvernement a décidé de séparer au sein des banques les activités de banque commerciale et de banque d’affaires. Comment ? Cela reste à discuter. La Belgique devrait attendre les propositions de l’Europe avant de trancher. © Bruno Fahy/Belga.

ENTRETIEN

Le gouvernement vient de décider de séparer les activités de banque commerciale et de banque d’affaires. Les réactions sont diverses. Luc Coene, le gouverneur de la Banque nationale, a ainsi indiqué voici quelques jours que cela renchérirait les coûts de financement des entreprises belges. Eric De Keuleneer, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management, n’est pas de cet avis. Il nous explique pourquoi.

Scinder est une bonne chose ?

La Belgique n’est pas un pays où il existe de grandes banques d’affaires. On parle donc plus d’interdire certaines activités aux banques commerciales que de scinder ces banques en deux entités. Mais oui, c’est une bonne décision. Il y a certes des arguments contre, qu’il est important de prendre en considération, mais tout dépend à mon sens de la manière dont on définit ce qui doit être dans une banque commerciale et ce qui doit être en dehors.

Certains craignent que nos entreprises se retrouvent pénalisées en étant obligées d’avoir désormais recours aux banques d’affaires pour certains services.

Curieux, car une « investment bank » n’offre pas vraiment de services de change ni de crédit à l’exportation. Une banque commerciale doit pouvoir faire tout type de crédits et donc, bien sûr, des crédits à l’exportation. Nos banques commerciales l’ont toujours fait. Et elles doivent pouvoir assurer les couvertures nécessaires de change et de taux d’intérêt pour ces services. Je crois qu’il y a là, disons, des malentendus qui doivent être éclaircis

Mais en Irlande ou en Espagne, ce sont des banques commerciales qui vacillent !

La scission entre banques commerciales et banques d’affaires est nécessaire, mais bien sûr elle ne suffit pas à résoudre tous les problèmes. En Irlande, le problème est venu du financement, par les banques, de promotions immobilières, parfois dans des conditions très douteuses. De même, les caisses d’épargne espagnoles ont trop largement financé des promotions immobilières à risque. Ces problèmes sont nés d’une mauvaise gestion des risques et d’un défaut de surveillance. Je ne dis pas que les risques pris par les banques commerciales sont toujours bien contrôlés. Mais ils sont bien plus aisés à suivre que les risques très complexes pris par les banques d’affaires, risques que les conseils d’administration eux-mêmes ont parfois du mal à cerner. Songeons aux équipes de Fortis ou de KBC qui « fabriquaient » des titres liés aux CDOs et aux crédits subprimes à Londres ou à New York.

Certains disent aussi que les activités de banque d’affaires sont plus rentables, que l’on handicape nos banques en les empêchant de les exercer.

Lorsque l’on compare les résultats par métiers ces trente dernières années, on constate que les activités traditionnelles des banques belges ont été parfaitement rentables, et que leurs activités internationales – surtout d’« investment banking » – l’étaient beaucoup moins. Au contraire : ce sont elles qui, au cours des cinq dernières années, ont été à l’origine de pertes gigantesques de certaines banques belges. En outre, lorsqu’une banque commerciale a aussi des activités de banque d’affaires, elle est inévitablement soumise à un problème de cohésion sociale. La « réussite » des traders est en effet rémunérée selon leur prise de risque et leur habilité à convaincre des clients du mérite de certains produits « complexes » ; elle peut atteindre des sommes très élevées quand ils ont de la chance, alors que la rémunération des employés d’une banque commerciale favorise en principe l’honnêteté, la qualité du travail, la compétence… Le retour à des rémunérations normales dans les banques commerciales ira donc plus facilement avec une scission des activités de banques d’affaires.

Il ne faut pas craindre une plus grande concurrence des banques étrangères chez nous ?

Non. D’ailleurs le Royaume-Uni l’a déjà adoptée, et le mouvement pourrait croître. Il y a moyen de prendre des mesures raisonnables sans handicaper nos banques. Leur rentabilité n’est vraiment pas menacée ; et il serait bon de prévoir que les banques sur le sol belge ne peuvent pas collecter les dépôts des particuliers si ces dépôts servent à financer des activités de banque d’affaires ou de « hedge fund ». Cela éviterait qu’une succursale belge d’une grande banque étrangère ne capte les dépôts belges pour alimenter des activités de banques d’investissement à l’étranger.

Les dangers des grandes banques universelles et les régulations simples pour les réduire

Introduction

Parmi les mesures à envisager pour assainir le paysage bancaire dans le monde, il est proposé de scinder les banques entre, d’une part, les activités de banque commerciale – c’est-à-dire les activités de dépôt et de crédit –, et d’autre part, les activités spéculatives et d’investment banking – c’est-à-dire les activités de prise de risques en marché primaire et marché secondaire de titres. Une telle mesure serait probablement nécessaire pour modifier en profondeur les pratiques bancaires défaillantes, mais elle ne serait pas suffisante, et d’autres mesures devraient l’accompagner. Au-delà des questions de principe et de lobbying bancaire qui accompagnent souvent ce débat, il ne faut pas perdre de vue qu’un des principaux enjeux de ce problème concerne la protection des déposants, qui sont souvent fort mal lotis dans leur statut actuel. Nous voudrions donc examiner ici certains de ces aspects de principe et de lobbying bancaire, mais aussi la problématique pressante de la protection des déposants bancaires dans les grandes banques universelles, et des risques courus par les États garants de ces dépôts.

Réformer les banques universelles pour protéger les déposants et l’économie

Les déposants deviennent des créanciers de deuxième rang, « subordonnés » aux autres.

Les déposants de nombreuses banques sont souvent placés en situation fragile, sans même en être informés, car ces banques ont directement et indirectement utilisé les dépôts de clients pour financer leurs activités spéculatives. Ces dernières années, cette situation a tendance à s’aggraver, car ces activités sont de plus en plus consommatrices de liquidités et de garanties. De nombreuses banques utilisent maintenant leurs meilleurs actifs pour constituer des garanties (du « collateral », en franglais financier) auprès de contreparties de ventes à découvert et de transactions sur produits dérivés d’une part, mais aussi en faveur d’obligations dites « couvertes », qui sont des dettes de la banque tout comme les dépôts, mais de plus reçoivent en privilège, en « couverture », des actifs de qualité. Cette pratique peut sembler inoffensive, mais en réalité elle relègue les déposants au niveau de prêteurs de second rang, subordonnés. Car si la banque fait faillite, les meilleurs actifs serviront d’abord à dédommager les créanciers privilégiés, dont ceux qui bénéficient de ces « collaterals » ou « couvertures ». Les déposants, qui ne sont pas « couverts », n’auront plus grand-chose. Dans la mesure où les dépôts de particuliers sont garantis par l’État (jusqu’à un certain montant), le risque principal est supporté par celui-ci, c’est-à-dire, in fine par les contribuables, et donc, en fait, par les citoyens, qui auraient bien tort de se désintéresser au problème.

Une séparation des activités spéculatives devrait surtout viser à mieux protéger les déposants, et serait économiquement très saine.

Les pays anglo-saxons ont attaqué le problème des risques excessifs que font courir aux déposants les grandes banques « universelles », c’est-à-dire les banques qui combinent l’activité de banque commerciale (dépôts et crédits) et l’activité d’investment bank (prise de risques de spéculation et de marché). Au Canada et en Australie, les banques sont étroitement régulées depuis des années ; les États-Unis sont en train de mettre en place la « Volcker Rule » qui interdira aux banques les activités de spéculation pour compte propre, mais sera probablement insuffisante vis-à-vis des grandes banques ; l’Angleterre, qui a connu avec ses grandes banques des problèmes similaires à ceux de la Belgique, a décidé après longue réflexion et analyse, d’imposer progressivement une séparation au moins juridique entre les activités de banque commerciale et d’investment bank. Toute banque anglaise devra soit arrêter la prise de risques de marché, soit organiser son activité de banque commerciale en filiale séparée qui devra être « cantonnée » (« ringfenced »), isolée de l’investment bank et ne pourra lui prêter qu’un montant limité.

Pour prendre un exemple simple, ce serait un peu comme si, au sein du groupe Dexia, Dexia Banque Belgique (grosso modo la banque de dépôt du groupe) avait eu interdiction expresse de prêter plus de quelques milliards à Dexia S.A. et Dexia France (l’entité la plus spéculative du groupe), au lieu des 50 à 60 milliards d’euros qu’elle a effectivement prêtés, au mépris d’ailleurs des principes de bonne gestion. L’État belge, parce qu’il garantissait les dépôts de Dexia Banque Belgique a donc été obligé de prendre des risques de dizaines de milliards pour empêcher la faillite de Dexia France et du groupe Dexia, parce que Dexia Banque Belgique avait trop prêté à ces deux entités qui pratiquaient des risques de marché exagérés. Si Dexia Banque Belgique (entre-temps rachetée par l’État belge et rebaptisée Belfius) avait été correctement gérée ou « cantonnée », elle n’aurait pas été polluée par les problèmes de l’entité spéculative, de  l’« Investment bank » du groupe Dexia.

Les lobbys bancaires préfèrent le statu quo

La bonne gestion des grandes banques universelles étant aléatoire, une protection réglementaire et légale est nécessaire. Les grandes banques universelles combattent les propositions de séparation de banques ou de généralisation de ces règles anglaises à toute l’Union européenne, sous divers prétextes :

-         Cela réduirait leur taille, or la taille, selon elles, serait essentielle en matière bancaire. Curieux, car les études démontrent qu’une très grande taille est plutôt défavorable à l’efficience et très défavorable au contrôle des risques. La recherche de cette très grande taille par les grandes banques européennes a surtout été un prétexte à des fusions et acquisitions exagérées, qui ont réduit la concurrence et accru le risque des banques, sans apporter de gains d’efficience, ni en matière de coûts, ni en matière de revenus. Dans de nombreux domaines, les banques les plus efficientes sont de taille petite ou moyenne, et les problèmes de gestion informatique, souvent essentiels pour l’avenir des banques, y sont aussi traités de façon plus efficiente.

-         Elles devraient se séparer de leurs activités les plus rentables, et donc compenser en augmentant les tarifs pour les clients de l’activité de banque commerciale. Rien n’indique que cette rentabilité est supérieure, en tout cas sur le long terme, et surtout après paiement de bonus et autres rémunérations variables aux « traders », largement octroyés dans les salles de marché. Très souvent, de grandes banques européennes compensent, au contraire, leurs pertes dans leurs activités de marché par la rentabilité de leurs activités traditionnelles. De nombreuses banques commerciales stricto sensu, de toute taille, en Europe et dans le monde, montrent que l’activité traditionnelle, bien gérée, est tout à fait rentable. Dans divers pays européens, des banques éthiques montrent aussi qu’il est possible de faire le métier de banquier de façon rentable, dans des banques de taille raisonnable, pratiquant des rémunérations raisonnables, et appliquant des règles éthiques rigoureuses dans leurs activités.

-         Elles ne pourraient plus offrir à leurs clients les services de leurs activités de marché. En réalité, beaucoup de ces services consistent en des produits compliqués, opaques, voire dangereux, que les salles de marché et des « conseillers » commerciaux vendent sans beaucoup de discernement à des clients trop confiants. Les exemples sont nombreux d’épargnants appauvris par des produits d’épargne alambiqués et trompeurs. Même des entreprises et pouvoirs publics ont été induits en erreur par la complexité et ont sous-estimé le danger de certains crédits apparemment peu coûteux, ou de protections de marché peu fiables. Des salles de marché prenant des risques de marché ont un conflit d’intérêts important lorsqu’elles traitent avec des clients et cherchent à leur vendre des instruments financiers, directement ou au travers de vendeurs au sein de la même banque. Une banque commerciale ne prenant pas de risques de marché peut au contraire donner de vrais conseils à ses clients en ces matières, et acquérir ou assembler les produits adéquats, aux meilleures conditions de marché. Dans de nombreux pays, dont la plupart du continent européen, ce modèle universel a permis de réduire fortement la concurrence dans l’activité bancaire et financière : les grandes banques collectent les dépôts, mais offrent aussi les autres instruments de collecte d’épargne, fonds d’investissement, assurances-vie (vraies et fausses), et cherchent par la concentration d’activités à éviter la concurrence, et à consolider leurs larges parts de marché.

Les grandes banques universelles souhaitent garder la subvention que constitue la garantie d’État sur leurs dépôts et, de façon générale, sur leur survie (le syndrome « too big to fail »), et donc le financement à bon marché de leurs activités de marché, activités qui ont de gros besoins de financement. Il permet aussi aux grandes banques de contrôler les marchés d’emprunts d’État, et donc de menacer non seulement les entreprises, mais aussi les États, dans leur financement, lorsque les projets de régulation menacent leur système. En examinant ce système, on se rend compte que les grandes banques universelles nient et combattent les principes mêmes de l’économie de marché, c’est-à-dire la concurrence, la transparence, l’absence de subventions publiques, la rémunération au mérite, etc.

Il serait donc très opportun de s’engager dans une réflexion sur ces matières, et sur la question de la taille optimale – ou excessive – des banques, dans l’intérêt de l’économie, mais aussi dans l’intérêt de la majorité des banques elles-mêmes – qui est différent de l’intérêt des grandes banques universelles. Les États-Unis sont parvenus à assainir leur secteur bancaire plus rapidement que l’Europe, entre autres grâce à la présence de milliers de banques commerciales de taille souvent petite et moyenne, et malgré les dégâts causés (dans le monde entier) par leurs grandes banques universelles et investment banks. En attendant, une formule de protection des déposants et de l’État doit être trouvée.

Des dépôts couverts ; les déposants doivent-ils rester moins bien protégés que les autres créanciers des banques ?

Des mesures de séparation des banques de dépôt et de l’investment banking, à l’anglaise, devraient être prises dans le cadre d’une réforme profonde du système bancaire, ce qui peut prendre du temps. Aussi longtemps que de telles mesures ne sont pas appliquées en Belgique, l’État serait peut-être bien inspiré de prévoir une pratique simple de couverture des dépôts bancaires, similaire d’ailleurs aux « obligations couvertes » émises par les banques : puisqu’on fait bénéficier certains créanciers et contreparties d’une « couverture », pourquoi pas les déposants particuliers ?

Un mécanisme simple de protection des dépôts devrait prévoir qu’une banque établie en Belgique et qui y collecte des dépôts aurait obligation de donner en nantissement de ces dépôts les crédits et autres actifs qu’ils financent. Simple et logique. Si l’État belge continue de garantir ces dépôts, il bénéficiera aussi de ce nantissement qui réduira son risque à un niveau raisonnable. L’État pourra moduler la prime qu’il perçoit sur les garanties qu’il octroie en fonction de la qualité des actifs reçus en nantissement et en refuser certains, selon les évaluations que font les régulateurs pour juger de la qualité d’un portefeuille de crédits. Ceux-ci doivent pouvoir faire sans problème ce genre d’évaluation pour des portefeuilles normaux de crédits normaux à des particuliers, des entreprises, des pouvoirs publics, etc. (en se passant des ratings frelatés émis par les agences de notation d’ailleurs). Les crédits à des banques et sociétés qui pratiquent l’investment banking et les risques de marché, la spéculation sur matières premières, la promotion immobilière ne seraient donc pas acceptés en nantissement de dépôts bancaires. Les banques qui plaideront qu’elles n’ont plus d’actifs à donner en nantissement démontreraient à quel point la situation actuelle est anormale, et à quel point il est urgent d’éviter d’en faire encore courir le risque aux déposants et à l’État.

Ceci ne découragerait certainement pas les banques de prêter à des particuliers, à des entreprises, au commerce national et international. Bien au contraire, puisque ces crédits leur permettraient de satisfaire à l’obligation de couverture de leurs dépôts. Mais ce serait un premier pas très utile vers une meilleure limitation des activités spéculatives et du « shadow banking » en particulier ; en tout cas la partie du shadow banking qui est financée par de l’argent ou des titres empruntés à des banques de dépôt. Cela réduirait la gigantesque subvention que représente la garantie d’État sur leurs dépôts pour certaines banques (plus la banque est risquée, plus la subvention est élevée). Cela faciliterait également la transition vers une séparation et un cantonnement des banques de dépôt, et faciliterait par ailleurs le sauvetage de banques en difficulté.

On pourrait aussi prévoir que des banques de dépôt d’un bilan inférieur à 30 milliards d’euros, et qui donnent moins de 10 % de leurs actifs en nantissement soient exemptées de ce règlement, s’il est clair que leurs déposants ne sont pas soumis à des risques anormaux. 

Ce mécanisme simple serait très facile à mettre en place, en utilisant les pratiques et le cadre légal des « covered bonds », ces « obligations couvertes » que certains voudraient encourager. Il aurait évité ou fortement réduit les coûts et risques supportés par l’État belge et les citoyens dans le cadre de la crise financière actuelle.

  1. Economies d’échelle, taille optimale et concurrence dans le secteur bancaire

Il est intéressant de s’interroger sur l’ensemble de ce qui se passe depuis les années 70 quant à la taille et l’efficience dans le secteur financier : quelle est la nature des gains d’efficience et des économies d’échelle en matière bancaire, et y a-t-il une taille optimale, c’est-à-dire une taille qui permet la meilleure productivité?[1]

C’est une question délicate mais très importante pour la santé du secteur et sa capacité à servir l’économie, dans une maîtrise des risques, et avec un niveau de concurrence assurant qu’une part suffisante des améliorations de productivité soit transmise aux clients.

Les mesures d’efficience et de taille optimale en matière bancaire sont toujours difficiles à évaluer[2], et de plus, l’analyse rationnelle se heurte en permanence à des idées reçues, dont celle que l’efficience croît automatiquement avec la taille est la plus répandue.

Chapitre 1 : Économies d’échelle

Efficience des coûts

Les économies d’échelle sont souvent citées comme une source potentielle de réduction de coûts presque sans limites. L’idée reçue que la taille est en soi un avantage s’appuie souvent sur une supposée nécessité d’amortir sur le plus grand volume possible les frais fixes : les coûts informatiques, les coûts d’image et de publicité, ou le coût des réseaux —la dernière mode était d’évoquer la nécessité d’absorber les coûts de la régulation.

Les études à cet égard[3] montrent que les coûts unitaires (coûts par rapport à des unités de recette) des banques évoluent en U : ils décroissent jusqu’à une certaine taille offrant des opportunités d’économies d’échelle, ensuite se stabilisent, puis croissent avec la taille, parce que certains coûts d’intégration des systèmes d’information ou de gestion des risques, croissent de façon exponentielle. De plus, il semblerait que les grandes banques fonctionnent avec une technologie plus lourde que celle des petites banques et que leur potentiel d’économies d’échelle s’épuise plus tôt[4]. Des économies d’échelles importantes semblent exister sur certaines activités de process standardisé (chèques, recouvrement,…) mais beaucoup de ces activités peuvent au besoin aisément être sous-traitées. Pour les activités de crédit aux entreprises, des économies d’échelle existent quant au monitoring et contrôle que doit exercer le banquier préteur, et surtout la banque principale, aussi appelée « house bank », mais elles ne sont pas infinies[5].

En ce qui concerne le coût du funding la taille ne semble pas apporter d’avantage, sauf en matière de fonds propres[6]. Les grandes banques opèrent avec une proportion de fonds propres plus faible, mais l’expérience montre que l’accroissement de risque résultant d’un montant de fonds propres trop faible est surtout pris en charge par l’Etat et le contribuable, qui doivent sauver les grandes banques lorsque leurs fonds propres sont insuffisants, pour éviter les risques systémiques. Ces grandes banques, qualifiées de « too big too fail », utilisent leur taille pour se mettre à l’abri d’une faillite, les pouvoirs publics étant obligés de les sauver en cas de difficulté. En pratique les Etats donnent à ces grandes banques, une sorte de garantie tacite, et gratuite, qui représente une forme de subside public, dont le niveau est d’autant plus important que la proportion des fonds propres des banques est faible ; les grandes banques font des efforts de lobbying considérables pour résister à toute tentative des pouvoirs publics de leur imposer des niveaux de fonds propres supplémentaires[7]. Cet avantage de la taille n’est donc pas un avantage économique, mais une subvention.

Efficience des revenus

Un réseau bancaire doit avoir une certaine taille pour générer des revenus suffisants, mais il s’agit là aussi d’un domaine où l’avantage de la taille semble plafonner puis décroître. Les résultats des études dans ce domaine sont peu robustes[8]. Les chiffres obtenus sont assez dispersés ce qui peut suggérer que ce sont des facteurs spécifiques à la banque et des caractéristiques inobservables qui déterminent l’efficience des revenus ; en dépit d’une certaine propagande qui vise à soutenir le contraire, la taille semble ne pas être un facteur déterminant[9].

- Il se dit parfois que l’avantage de la taille proviendrait de ce que les grands clients corporate exigent des crédits de montants importants pour accepter de traiter avec une banque. Ceci n’est pas avéré, car de très grandes entreprises utilisent des banques de toutes tailles si leurs services sont bons ; de plus, les grands clients ne sont pas toujours les plus rentables ni les plus loyaux.

- La taille d’un réseau international est un argument fréquemment utilisé, mais de bons correspondants internationaux permettent d’offrir des services équivalents ou supérieurs à ceux d’un réseau propre dont les implantations étrangères sont souvent des banques marginales dans le territoire qu’elles couvrent.

- Une meilleure diversification du risque est un autre argument invoqué par les secteurs bancaires concentrés pour justifier la présence de plus grandes banques[10]. Mais la diversification du risque de crédit est possible de différentes façons, par exemple en pratiquant la réassurance du risque via la syndication, ou les mécanismes de couverture de défaut, assurance–crédit ou Credit Default Swap[11].

La tendance du secteur bancaire depuis les années 1980 a été de viser un élargissement des gammes d’activités. En Europe, les banques commerciales et de dépôt ont élargi leurs activités vers les marchés de capitaux, tant pour compte propre que pour compte de clients. De nombreuses banques se sont lancées dans des activités qu’elles ne maîtrisaient pas, avec une apparence de gain d’efficience en revenus durant les années d’euphorie, et des pertes importantes pendant les crises, particulièrement celle de 2007-2009. Nous revenons au chapitre 4 sur les activités de marchés de capitaux.

En matière d’efficience, globalement, une taille optimale semble donc exister, mais elle correspondrait plutôt à une banque de taille moyenne[12], ayant un bilan de quelques dizaines de milliards d’euros, soit le quart ou le dixième de la taille des grandes banques européennes (belges entre autres) en 2010.

Chapitre 2 : Le supermarché bancaire, gain d’efficience ou abus de pouvoir ?

Le pouvoir de placement, un pouvoir corrupteur au détriment des marchés ?

En Europe continentale : des clients captifs

Dans leur activité de collecte d’épargne au sens large, les grandes banques d’Europe continentale, et ceci est particulièrement le cas en Belgique, ont visé à accroître leur contrôle sur la distribution de produits et sur la chaîne de valeur, tant en acquérant des sociétés de bourse, que des sociétés de gestion d’actif, des compagnies d’assurances, etc. Elles ont aussi encouragé la vente d’instruments d’épargne gérés par des Organismes de Placement Collectifs (de type Sicav, fonds d’investissement, etc.) qu’elles contrôlent et rentabilisent à divers niveaux. Les clients des banques sont souvent les victimes de la distribution « captive » des produits d’épargne que permet ce genre d’intégration. Cette intégration apporte peut-être quelques gains d’efficience de revenus, mais ce n’est pas certain, des déséconomies d’échelle existant aussi. De plus il semble que les investisseurs, particuliers en tout cas, n’aient pas bénéficié d’éventuelles économies d’échelle, le taux de facturation des OPC pour particuliers belges ayant plutôt tendance à la hausse ces dernières années.

Notons que dans le cas d’une banque de grande taille, ce type de structure fonctionne encore mieux pour les banques lorsque, à l’intégration et à la captivité de la clientèle, on peut ajouter un effet de masse et de publicité. L’exclusivité générée par ce système crée un problème d’éthique et de compétitivité des produits offerts aux clients. En particulier en Europe continentale, la distribution souvent quasi exclusive par les banques de Sicav et autres produits d’épargne propres se réalise à l’encontre de leur rôle supposé de conseil, et est souvent à la limite de la légalité, si l’on considère leur compatibilité avec les règles MiFID (Directive européenne qui impose aux banques et aux institutions financières des règles de meilleure exécution, de transparence, et de gestion de conflits d’intérêt). Les frais de gestion d’OPC et de produits structurés « maison » distribués dans des réseaux captifs ainsi que les droits d’entrée, de sortie et de garde, représentent d’ailleurs dans de nombreux cas une part substantielle, et croissante, de la rentabilité des banques d’Europe continentale[13].

Aux Etats-Unis : des agences et analystes à l’indépendance douteuse

Dans les pays Anglo-Saxons, les réseaux de distribution de titres, brokers (courtiers) sont rarement indépendants. Ils ne sont pas intégrés dans les banques commerciales, mais depuis les années 1980, la plupart appartiennent à des Investment Banks, les banques d’affaires qui montent les opérations de marché. Elles ont, depuis lors, usé et abusé du rôle de conseiller en placement que jouaient traditionnellement les analystes financiers travaillant chez ces brokers. es analystes financiers sont sensés être indépendants et émettre des avis objectifs quant à la valeur d’une action, au service des investisseurs. Mais les grandes Investment Banks, en intégrant les brokers ont changé les règles. L’indépendance des avis et conseils en placement a été sacrifiée, les analystes financiers étant « motivés » (par des bonus et plans de carrière) à modifier leurs recommandations en fonction des opérations de marché dirigées par la banque, ce qui fut une des cause principales des scandales liés à la bulle Internet-Technologie des années 1995-2002[14].

Ces recommandations sont pour les actions l’équivalent de ce que sont les notations ou ratings émis par les agences de rating pour classifier les obligations. Ces agences sont aussi sensées être indépendantes, et émettre des avis objectifs, mais depuis les années 2000 au moins, leurs avis ont été influencés par les pressions de leurs grands clients (la faillite d’Enron indiquait déjà ce problème[15]. Les grandes Investment Banks dirigeant de nombreuses opérations sont devenues leurs plus grand clients, en particulier dans les opérations de titrisation: le scandale des subprimes a atteint l’ampleur que nous connaissons parce que les agences de rating se laissaient corrompre par les Investment Banks.

Les grandes Investment Banks aux Etats-Unis ont donc une capacité  d’influence tant sur les ratings obligataires que sur les recommandations sur actions, grâce à leur taille. Cet avantage de la taille pour les grandes Investment Banks, n’en est clairement pas un pour les marchés de capitaux que ce mécanisme pollue d’une dose nocive de centralisation et rend vulnérable à la corruption comme nous le verrons au chapitre 4.

En matière de distribution de titres, la taille donne donc ce que les banques appellent un « pouvoir de placement », qui ressemble fort à un abus de marché.

Le problème que représente le manque d’indépendance et d’éthique des agences de rating est connu ; en fin 2010, il est loin d’être résolu. Mais le problème des conflits d’intérêt des analystes financiers en matière d’action n’est pas résolu non plus et reste sous-estimé.  

  1. B.     Une autre logique : les Fusions-Acquisitions et l’Investment Banking

Chapitre  3 : Taille, rentabilité et fusions

Quand on aborde la question de la taille en étudiant les gains d’efficience, ou le rapport statistique entre taille et rentabilité, on trouve peu de lien significatif. Malgré cette absence de justification économique, de nombreux patrons de banques ont un objectif de taille ; les raisons les plus évidentes de cette volonté de taille sont que la taille donne du pouvoir[16], et permet de justifier des rémunérations élevées pour les dirigeants[17].

Mais il est d’autres raisons moins évidentes, et pourtant fort importantes.

D’abord, la taille relative dans un marché est utile, car la concentration des acteurs permet souvent une augmentation de rentabilité : on constate que la rentabilité sur fonds propres des banques (comme dans d’autres secteurs d’ailleurs) estassez corrélée avec la concentration, au delà d’un certain seuil critique[18] [19]. Le consensus théorique traditionnel prédit que plus le secteur bancaire est concentré et moins il est compétitif, plus le système sera stable car les profits seront plus élevés et formeront une garantie contre la prise de risques excessifs. On a vu entre temps qu’en pratique, la recherche de profits élevés par tous les moyens est plutôt déstabilisante, et que la taille excessive des banques a rendu le secteur non seulement instable et vulnérable, mais parfois même difficile à sauver.

Ensuite, la manière d’aboutir à une plus grande concentration est attrayante pour des dirigeants de banques, car elle nécessite des fusions ou acquisitions, qui se pratiquent comme un grand jeu de société très amusant pour les acquéreurs, et permet de faire plaisir aux Investment Banks, rarement ingrates vis-à-vis de leurs bons clients.

Les fusions apportent-elles des gains d’efficience ?

Plusieurs études montrent que, de manière générale, dans plus de 60% des cas, les opérations de fusions et acquisitions se soldent par un échec selon des critères de création de valeur ou de mesure de productivité[20]. L’examen des fusions et acquisitions dans les banques commerciales montrent que souvent, elles n’apportent pas les gains d’efficience ni de rentabilité espérés[21], sauf lorsque la réduction de concurrence permet une augmentation des marges brutes, au détriment des clients.

Alors que l’objectif déclaré des fusions de banques en Belgique était que la productivité allait augmenter et que les clients pourraient bénéficier de meilleurs services à prix moindres, l’augmentation des marges commerciales, mesurable dans les tarifs crédits, les frais de gestion de sicav, etc. était générale, ainsi que l’accroissement des bénéfices. Quant à la qualité des services prestés et la satisfaction des clients, les fusions ne semblent pas les faire progresser[22].

De façon générale, les cas les plus concluants de gains de rentabilité suite à des fusions semblent provenir soit de la résolution de problèmes de gestion, soit de l’accroissement de pouvoir de marché[23], plutôt que d’économie d’échelle.[24]

L’accroissement de pouvoir de marché est rarement annoncé comme étant un objectif car il est contraire à l’intérêt des clients et contraire aux règles de marché et à la législation de la concurrence, mais ce problème ne semble pas être un souci prioritaire des autorités nationales de la concurrence. Les autorités européennes de la concurrence sont souvent les seules capables de mettre des limites, mais doivent lutter contre de forts lobbies du « champion national ».

Qu’il est doux de faire plaisir à son banquier 

Les Fusions et Acquisitions sont un aspect particulier et très rentable de l’activité des banques d’affaires, les « Investment Banks »; tellement rentables qu’elles y poussent les entreprises malgré l’échec de la grande majorité de ces opérations. Les patrons récalcitrants sont menacés, avec un discours de type : « si vous ne faites pas d’acquisition, les marchés financiers en déduiront que vous manquez de stratégie, abaisseront leurs recommandations sur votre action, dont le cours va baisser, et vous allez vous faire  acquérir ». Le fait que les marchés financiers sont fortement influencés par les analystes financiers —soi-disant indépendants, mais employés par les Investment Banks—, est évidemment bien pratique dans ce contexte. Mais notons que de nombreux soi-disant spécialistes et chefs d’entreprises y sont sensibles et se laissent séduire par l’idée reçue que manque d’acquisitions voudrait dire manque de stratégie. L’acquisition d’ABN-Amro par Fortis et Royal Bank of Scotland se plaçait largement dans cette logique. Cette opération à été en fait conçue et montée par la banque d’affaires Merril Lynch, pour son plus grand profit (des centaines de millions d’euros de commission « de succès » lui ont été payés), les dirigeants des banques Fortis et Royal Bank of Scotland ne donnant pas toujours l’impression de contrôler leur dossier. Un grand nombre des fusions et acquisitions bancaires, opérées depuis 1996-97 ont été motivées par des problèmes d’actionnariat, des ambitions personnelles etc… Il en est souvent  résulté une augmentation du cout des services bancaires, des banques trop grandes, et incapables de contrôler leur risque.

Notons enfin que les fusions de banques, et surtout de banques petites et moyennes, ont fait l’objet de nombreuses études aux Etats-Unis[25]; les indices de gains d’efficience en matière de coût sont contradictoires[26]. Par contre, un nombre significatif semble avoir donné des gains d’efficience de revenus aux Etats-Unis[27], parmi les banques de taille modeste et spécialisées, parce que les fusions permettaient d’une part, des renforcements de pouvoir de marché et d’autre part, une meilleure diversification des portefeuilles de crédit. Il y a entre temps d’autres manières de diversifier les risques crédit…

Chapitre 4 : Le cas particulier de la taille dans l’Investment Banking

Dans les banques pratiquant surtout l’Investment Banking (les grandes banques New-Yorkaises et quelques autres), la taille apporte un avantage, qui ne semble pas indiquer une plus grande efficience (ce qui serait positif d’un point de vue économique), mais bien une plus grande facilité à dominer les marchés et une grande impunité face à certaines indélicatesses nuisibles à l’économie.

Le Corporate Finance, partie centrale de l’Investment Banking, est une activité où la taille et la notoriété offrent des arguments commerciaux qui peuvent être très rentables, mais souvent au prix d’un grand appauvrissement éthique[28]. Ceci concerne les opérations de conseil en fusions et acquisitions ainsi que les introductions en bourse (Initial Public Offering, IPO) et le placement de titres en général :

- Les fusions & acquisitions donnent des informations sur les transactions de clients qu’il est rentable, mais très délicat ou illégal d’utiliser (information privilégiée, conflit d’intérêt…). Diverses banques le font pourtant, soit pour s’enrichir pour compte propre, soit pour entretenir des relations rentables avec des clients importants.

- Les IPO représentent aussi une monnaie d’échange, notamment en matière d’attribution privilégiée d’émissions réussies qu’on appelle «hot issues». Elles permettent des attributions privilégiées de titres, souvent émis à des prix d’émission permettant une large prime le premier jour de cotation.

- Les bénéficiaires de ces avantages douteux sont dans les deux cas très divers, allant de clients corporate qui octroient des mandats rémunérateurs à leur banque, à des gestionnaires de grands fonds d’investissements, sicav, et  hedge funds, qui assurent ainsi aux grandes banques un « pouvoir de placement » de titres. Les grandes Investment Banks, en exerçant un réel contrôle, bien que démenti, sur les prescripteurs de titres que sont les agences de rating d’une part et les analystes actions d’autre part, arrivent à conforter très efficacement ce pouvoir de placement.

- Les banques usent et abusent de ce pouvoir, pour truster les mandats d’émission de titres et consolider leur domination du marché. Leurs pratiques ressemblent souvent à de la franche corruption, avec le grand avantage de ne pas être punissables, car le fameux slogan des banquiers d’affaires : « nous ne faisons rien d’illégal » s’y appliquent régulièrement. Notons que lorsque ces banques dépassent la norme, elles sont parfois poursuivies par les régulateurs ou la justice, mais les amendes sont généralement beaucoup plus faibles que l’enrichissement. Ce qui confirme au passage qu’il faut changer certaines lois si l’on veut assainir la finance

Ces diverses formes de corruption expliquent probablement la résilience des commissions élevées dans cette activité d’introductions en bourse —7% du montant émis, alors que les risques sont très faibles—, et l’oligopole qui y persiste, surtout à New York[29] .De façon générale, les entreprises semblent préférer traiter leurs dossiers de corporate finance avec les banques réalisant le plus d’opérations, sans beaucoup négocier les commissions, malgré les études qui indiquent que la qualité des prestations en Investment Banking est plutôt inverse au niveau de notoriété atteint par les banques (dans les « league tables » entre autres)[30]. Du fait de cette piètre qualité de service, on voit d’ailleurs se développer des petites banques d’affaire spécialisées, appelées en anglais financial boutiques, dont le service semble meilleur que celui des grandes, mais dont la portée reste limitée, peut-être parce qu’elles ont moins d‘« arguments commerciaux ».

En liant l’origination et la distribution de produits financiers via des courtiers-maison, un modèle intégré de création et distribution (« originate to distribute ») de produits financiers a donc été créé, dans lequel le « pouvoir de placement » et la taille apportent un avantage, contraire à l’intérêt du marché et des clients, mais très rentable pour les banques d’affaires. 

Le marché des dérivés de crédit (Credit Default Swaps, CDS) et de dérivés en général est aussi caractérisé par des abus de positions dominantes, des pratiques douteuses et des manipulations de cours[31], facilitées par l’absence de chambre de compensation ouverte à tous et des prix transparents. La concentration suspecte de ces marchés dans les mains de quelques grandes banques et leur opacité fait enfin l’objet de diverses enquêtes des autorités de concurrence et de marché.

Ces activités sur dérivés, ainsi que de façon générale les activités de tenue de marché et de spéculation, sont des activités très rentables mais parfois très risquées nécessitant des sources de financement faciles et bon marché. C’est la que les grandes banques bénéficient pleinement de la garantie d’Etat implicite qui leur vient de la coexistence entre ces activités risquées et les activités bancaire. La collecte de dépôt d’épargne et la gestion des infrastructures de paiement les rendent « systémique », autrement dit « too big to fail », c’est-à-dire que leur faillite entraînerait une crise de système.

Les grandes Investment Banks ont aussi développé en toute discrétion une activité très rentable d’emprunt et prêt de titres ; elles empruntent des titres détenus par des clients, parfois à l’insu de ces clients, pour les prêter à d’autres, typiquement des arbitragistes et des spéculateurs devant couvrir des positions short[32]. Cette pratique[33] est une activité très rentable pour les banques, beaucoup moins pour les clients, qui encourent des risques considérables sur ces prêts de titres, souvent sans s’en rendre compte d’ailleurs.

Les bonus pratiqués à large échelle en Investment Banking seraient d’après les dirigeants et cadres bancaires  essentiels pour attirer et motiver les « talents rares » à l’œuvre dans ces activités. Cette nécessité de rémunération exorbitante n’est vérifiée dans aucun autre secteur, et semble plutôt pourrir la déontologie de ses bénéficiaires, que correspondre à des talents réels. On peut également sérieusement s’inquiéter d’une « fuite des cerveaux » vers un secteur pour lequel il est carrément opportun de se demander s’il créée aujourd’hui une réelle valeur économique pour la société dans son ensemble[34].

Notons que jusqu’à présent ces concentrations et dominations de marché ont été tolérées par les principaux gouvernements concernés, aux Etats-Unis mais aussi dans de nombreux pays européens, au nom d’une logique combinant la défense des champions nationaux, celle de « secteur d’excellence mondiale », et une proximité excessive des banques et des politiciens.

Chapitre 5 : Y a-t-il moyen de positiver le génie malin de la finance internationale ?

Sur base des analyses des chapitres précédents, on peut affirmer que ce ne serait donc pas la taille en soi qui apporte l’avantage en Investment Banking, mais la domination du marché liée à des pratiques douteuses et la disparition de la déontologie; il est peu probable que l’on se trouve ici en présence d’une plus grande efficience au sens économique. La taille et la concentration des acteurs réduit la possibilité de correction naturelle, l’uniformité de la démarche banalise l’indécence et la corruption, et la centralisation du pouvoir et des décisions aggrave les conséquences des erreurs. Ce système a beaucoup des inconvénients de l’ancien système soviétique.

On pourrait penser que les autorités publiques doivent combattre la taille excessive des banques, puisque cette taille n’apporte pas de gains d’efficience, et accroît les risques. Mais le secteur bancaire présente un cas intéressant de capture de l’Autorité publique par un secteur et ses lobbies. L’attrait apparent de l’argument de la « taille au service des clients », ou celui du « champion national », séduisent l’Autorité ; les chantages à l’emploi ou à la crise systémique la manipulent. L’analyse fait apparaître des dangers tels, que ce cas de capture en devient exemplaire pour éclairer les mécanismes à l’œuvre dans d’autres secteurs. De plus, le lobbying des grandes banques est renforcé par celui des autres entreprises ; on voit couramment les agences de rating venir au secours du lobbying bancaire quand des mesures sérieuses de limitation des garanties publiques sont envisagées (via le « living will » ou autre obligation de cloisonnement des activités de dépôt) et des industriels (peut-être dûment motivés par les « faveurs » ici décrites) faire le jeu des banques quand il s’agit de refondre et mieux contrôler le marché des dérivés.  Les banquiers d’ailleurs volent aussi au secours d’industriels menacés dans leurs prébendes, comme récemment dans le dossier de la taxation des producteurs nucléaires allemands. En plus de cette stratégie de lobbying croisé, les banques pratiquent aussi habilement la « diabolisation latérale » ; les banques européennes font ainsi croire aux politiciens du continent que tout le mal de la finance viendrait des fonds spéculatifs, les hedge funds, surtout basés à Londres et aux Etats Unis, ce qui automatiquement divise les institutions supranationales, car les autorités US et anglaises ne croient pas que ces fonds spéculatifs présentent un problème réel. L’examen des mérites et dangers de hedge funds mérite une discussion approfondie, mais il faut savoir qu’il s’agit là simplement de spéculateurs, qui ont toujours existé et existeront toujours, et qu’une grande partie de leur rentabilité vient de l’information privilégiée et autres faveurs données par les Investment Banks en échange de courants de transactions, et que les banques en général leur apportent une grande partie de leurs moyens d’action sous forme de prêts, avec l’argent des épargnants, ou des états,… .

Les mesures à prendre sont finalement assez simples, citons en quelques unes :

-        favoriser la concurrence en matière d’activité bancaire –tant de détail que de marché de capitaux- et ne plus permettre les fusions et acquisitions de banques lorsque l’entité résultante détiendrait plus de 15% du marché où elles opèrent. De façon générale, favoriser la séparation des métiers bancaires et la réduction de taille des banques, entre autres par une taxation de la grande taille et de la prise de risques de marché.

-        séparer les activités de banque commerciale (collecte de dépôts, octroi de crédits) de la prise de risque de marché, sur titres et dérivés en tout cas. Cela supprimerait les subsides massifs dont bénéficie aujourd’hui cette activité de prise de risque de marché conduite dans les banques commerciales, grâce à l’assurance de sauvetage que donnent les pouvoirs publics à ces banques. Assez évident : il ne faut pas jouer au casino avec les dépôts des épargnants.

-        Une taxe sur les transactions financières aiderait fortement à réduire les activités purement spéculatives des banques, celles dont la valeur ajoutée est tellement faible qu’elle ne supporterait même pas une taxe de 0,01 % (taxe que les clients non-bancaires ne remarqueraient même pas).

-        Interdire aux banques commerciales de donner leurs actifs en gage, ou alors faire bénéficier les dépôts de clients de gages satisfaisants.

-        Encourager le financement des Etats et des entreprises moyennes et grandes par les marchés d’obligations plutôt que par les banques.

-        Séparer les activités de courtage, et donc de conseil aux investisseurs, d’avec les activités de montage d’opérations de marchés, et donc de conseil aux émetteurs de titres.

-        Généraliser dans les introductions en bourse un système d’allocation neutre et transparent, et peut être aussi un système de pricing transparent et concurrentiel.

-        Encadrer les prêts de titres, les rendre plus transparents.

-        Interdire la publication de ratings et autres recommandations et avis d’achat ou vente de titres lorsque ces ratings et avis sont donnés par des entités payées directement ou indirectement par des émetteurs de titres.

-        Prévoir que dans les banques les activités de contrôle interne soient au moins aussi bien rémunérées que les fonctions de trading, ce qui mettra une limite naturelle à la rémunération des traders, et en assurera un meilleur contrôle (puisque l’argent serait indispensable pour attirer les talents, selon l’évangile bancaire).

-        Prévoir que les conseils d’administration des banques sont directement responsables de leur politique de motivation et de rémunération, et doivent justifier celle-ci par rapport à leur gestion des risques, et à leur communication commerciale (pour éviter que les banques déclarent veiller aux intérêts de leurs clients, mais motivent leurs employés à privilégier l’intérêt de la banque au détriment de ceux des clients). Prévoir que les membres du Conseil d’administration de Banques soient tenus de démontrer leur compréhension des produits financiers vendus par les banques, et de l’ensemble des opérations financières menées au sein des banques.

En définitive des mesure simples, et faciles à mettre en place même si les autorités publiques semblent avoir du mal à faire de la peine à ces banquiers qui rançonnent la société, mais pratiquent un lobbying très important, et n’oublient pas les responsables politiques dans leurs distribution de faveurs. Certaines de ces mesures nécessitent une coordination internationale, mais il est clair que les banquiers s’emploient habilement à la rendre impossible. De nombreuses mesures peuvent en tout cas être prises au niveau européen, et même national par chaque pays plus soucieux de la santé de son économie que des profits et bonus de ses banques et banquiers.

Bibliographie

Akhavein, J., Berger, A., Humphrey, D., 1997. The Effects of Megamergers on Efficiency and Prices : Evidence from a Bank Profit Function. Review of Industrial Organization, vol. 12, pp. 95-139.

Altunbas, Y., Gardener, E.P.M., Molyneux, P., Moore, B., 2001. Efficiency in European banking. European Economic Review, 45 (10), pp. 1931–1955.

Amel, D., Barnes, C., Panetta, F., Salleo, C., 2004. Consolidation and efficiency in the financial sector: A review of the international evidence. Journal of Banking and Finance, Vol. 28, n°10, pp. 2493-2520.

Ayadi, R., de Lima, P., Pujals, G., 2002. Les restructurations bancaires en Europe. Revue de l’Observatoire Français des Conjonctures économiques, Vol. 5, n°83 bis, pp. 325-382.

Bain & Company, 1999. Fusions-acquisitions dans le secteur bancaire et création de valeur. Rapport d’étude.

Bao, J., Edmans, A., 2009. Do Investment Banks Have Skill ? Performance Persistence of M&A Advisors. EFA 2007LjubljanaMeetings Paper. (Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=952935)

Beck, T., D. Coyle, et al. (2010). Bailing out the Banks: Reconciling Stability and Competition. London, Center for Economic Policy Research.

Berger, A. N., 1999. Consolidation of the Financial Services Industry : Causes, Consequences and Implications for the Future. Journal of Banking and Finance 23.

Berger, A. N., Hancock, D., Humphrey, D. B., 1993. Bank efficiency derived from the profit function. Journal of Banking & Finance 17(2-3), 317-347.

Berger, A. N., Hannan, T.H., 1998. The efficiency cost of market power in the banking industry: A test of ‘Quiet Life’ and related hypotheses. Review of Economics and Statistics 80 (3) 154–165.

Berger, A. N., Humphrey, D. B., 1991. The dominance of inefficiencies over scale and product mix economies in banking. Journal of Monetary Economics 28(1), 117-148.

Berger, A. N., Humphrey, D. B., 1992. Megamergers in banking and the use of cost efficiency as an antitrust defense. Finance and Economics Discussion Series 203, Board of Governors of the Federal Reserve System (U.S.).

Berger, A. N., Hunter, W. C., Timme, S. G., 1993. The efficiency of financial institutions: A review and preview of research past, present and future. Journal of Banking & Finance 17 (2-3), 221-249

Bliss, R.T., Rosen, R.J., 2001. CEO compensation and bank mergers. Journal of Financial Economics, 61(1) 107–138.

Bouckaert, B., Degryse, H., Van Cayseele, P., 1995. Credit market structure and information sharing mechanisms, Kluwer Academic.

Burger, Y., 2001. European Banking consolidation : time out ?, Standard & Poor’s, October.

Calomiris, C.W., Karceski, J., 2000. Is the bank merger wave of the 1990s efficient? Lesson from nine case studies. In: Kaplan, S.N. (Ed.), Mergers and Productivity.UniversityofChicagoPress/NBER,Chicago.

Chen, H-C., Ritter, JR., 2000. The seven percent solution. Journal of Finance 55, 3, 1105-1131.

Daskin, A. J., Wolken, J. D., 1989. An empirical investigation of the critical herfindahl index in banking. Journal of Economics and Business 41(2), 95-105.

De Graeve, F., De Jonghe, O., Vander Vennet, R., 2004. The Determinants of Pass-Through of Market Conditions to Bank Retail Interest Rates inBelgium. Research series 200405-2, National Bank ofBelgium.

Degryse, H., Masschelein, N., Mitchell, J., 2004. SMEs and Bank Lending Relationships: the Impact of Mergers. Research series 200405-1, National Bank of Belgium.

De Keuleneer, E., 2003. Aspects éthiques de la surveillance des entreprises par le marché et les fusions et acquisitions. In : L’entreprise surveillée. Bruylant, Bruxelles.pg 49 à 144

Dewatripont, M., J. Rochet, et al. Balancing the Banks: Global Lessons from the Financial Crisis,PrincetonUniversity Press.

Diamond, D. W., 1984. Financial Intermediation and Delegated Monitoring. The Review of Economic Studies, 51, 393-414.

Fixler, D. J., Zieschang, K. D., 1993. An index number approach to measuring bank efficiency: An application to mergers. Journal of Banking and Finance 17, 437-450.

Focarelli, D., Panetta, F., Salleo, C., 2002. Why do banks merge? Journal of Money, Credit, and Banking, 34 (4) 1047–1066.

Gathon, H.-J., et Grosjean, F., 1991. Efficacité productive et rendements d’échelle dans les banques belges. Cahiers Economiques de Bruxelles, 145 – 160.

Guner, N., Onder, Z., Rhoades, S. D., 2004. Underwriter Reputation and Short-run IPO Returns: A Re-evaluation for an Emerging Market. (Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=495742)

Hannan, T. H., Prager, R. A., 1995. Do Substantial Horizontal Mergers Generate Significant Price Effects? Evidence from the Banking Industry, Working Paper, Board of Governors of the Federal Reserve System,Washington,DC.

Hannan, T. H., 1991. Bank Commercial Loan Markets and the Role of Market Structure: Evidence from Surveys of Commercial Lending. Journal of Banking and Finance, 15, 133–149.

Heremans, D., Van Cayseele, P., 1996. Concentratie en concurrentie in de

Belgische financiële sector. Leuvense Economische Standpunten 82, 16-17.

Hradisky, M., 2003. Het bankkrediet aan de particuliere sector in België. Het Economisch Tijdschrift, BNB.

Hughes, J.P., Mester, L.J., Moon, C.-G., 2001. Are scale economies in banking elusive or illusive? Evidence obtained by incorporating capital structure and risk-taking into models of bank production. Journal of Banking and Finance 25 (12), 2169–2208.

Humphrey, D. B., 1990. Why do estimates of bank scale economies differ?. Economic Review, Federal Reserve Bank of Richmond 76 (Sep/Oct), 38-50.

Humphrey, D., Vale, B., 2004. Scale economies, bank mergers, and electronic payments: A spline function approach. Journal of Banking & Finance, Vol. 28, n°7, pp. 1671-1696.

Huveneers, C., Steinherr, A., 1994. On the performance of differently regulated financial institutions: Some empirical evidence. Journal of Banking & Finance 18(2), 271-306.

Huveneers, C., 2003. Conditions de concurrence du secteur bancaire en Belgique pour le financement des entreprises, en particulier les PME. Rapport Bureau fédéral du Plan.

Jentzsch, N., San José Rientra, A., 2003. Information Sharing and Its Implications for Consumer Credit Markets: United States vs. Europe*. Working paper “The Economics of Consumer Credit: European Experience and Lessons from the U.S.”.

Kouki, M., 1994. Contributions à l’économétrie de la production bancaire. Thèse de doctorat, Université des Sciences socialesToulouseI.

Kouki, M., Renault, E., 1994. A structural approach to determining scale economies in the banking industry. Working paper présenté au CORE, Econometrics Seminar.

Leszczynska, N., 2007. Rôles et moyens de la régulation financière en Belgique : Comparaison avec d’autres pays OCDE et pays émergents.

Malnero, A., Tulkens, H., 1994. Nonparametric Approaches to the Assessment of the Relative Efficiency of Bank Branches. CORE Discussion Papers 1994047, Université catholique deLouvain, Center for Operations Research and Econometrics (CORE).

McAllister, P. H., McManus, D., 1993. Resolving the scale efficiency puzzle in banking. Journal of Banking & Finance 17(2-3), 389-405.

McFadden, R., 2008. Regulatory Optimal Bank Size. International Advances in Economic Research, 14(2), 142-155.

Mishkin, F. (1999). « Financial consolidation: Dangers and opportunities. » Journal of Banking & Finance 23(2-4): 675-691.

Moss, D. A. (2010). An Ounce of Prevention. Harvard Magazine.

Mueller, D. C., Yurtoglu, B. B., 2007. Corporate Governance and the Returns to Acquiring Firms’ Shareholders: An International Comparison. Managerial and Decision Economics. (Available at SSRN: http://ssrn.com/abstract=948924)

Muldur, U., Sassenou, M., 1989. Structure des coûts et efficacité des banques françaises. Analyse financière (4eme trimestre).

Pacolet, J., 1987. Schaalvoordelen en voordelen van diversificatie in de Belgische banksector , 1976-1985. Tijdschrift voor Economie en Management 4, 443 – 485.

Pallage, S., 1991. An Econometric Study of the Belgian Banking Sector in terms of Scale and Scope Economies. Cahiers Economiques de Bruxelles, 125 – 143.

Paribas, 1998. Banques : taille critique, quelle taille critique ?, Revue Conjoncture, février.

Rhoades, S. A., 1993. Efficiency effects of horizontal (in-market) bank mergers. Journal of Banking & Finance 17(2-3), 411-422.

Rhoades, S. A., 1998. The Efficiency Effects of Bank Mergers: An Overview of Case Studies of 9 Mergers. Journal of Banking and Finance 22 (3).

Sapienza, P., 2002. The Effects of Banking Mergers on Loan Contracts. Journal of Finance, Vol. 57, 2002, pp. 329—368.

Smith, A., 1776. An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth Of Nations: Books 1-3. Penguin Classics,London.

Story, L. (December 11, 2010). A Secretive Banking Elite Rules Trading in Derivatives. The New York Times.

Straub, T. (2007). Reasons for Frequent Failure in Mergers and Acquisitions, Deutscher Universitäts-Verlag.

Vander Vennet, R., 1994. Economies of scale and scope in EC credit institutions. Cahiers Economiques de Bruxelles 144, 507 – 548.

Vander Vennet, R., 1996. The effect of mergers and acquisitions on the efficiency and profitability of EC credit institutions. Journal of Banking & Finance 20(9), 1531-1558.

Eric De Keuleneer  Professeur à Solvay-ULB

 



[1] Par taille, nous entendrons ici la taille du bilan, bien qu’ils s’agissent d’une mesure simplificatrice.

[2] Diverses études montrent que la qualité de gestion est beaucoup plus importante pour exploiter l’efficience des coûts et des revenus que les économies d’échelle et de gamme. Voir Berger et Humphrey (1991), Berger et Humphrey (1992), Berger et al. (1993), Malnero et Tulkens  (1994)

[3] Voir Humphrey (1990), Akhavein, et al. (1997), Amel et al. (2004).
Notons que la plupart des résultats d’études menées sur les banques se réfèrent à une période « normale » (ç’est à dire, avant 2007).

[4] Voir Altunbas et al. (2001)

[5] Voir Diamond (1984), Huveneers et Steinherr (1994)

[6] Voir McAllister et McManus (1993), Mishkin (1999)

[7] Voir Moss (2010)

[8] Voir Berger et al. (1993)

[9] Voir Amel et al. (2004)

[10] Voir les modèles de Diamond (1984), Ramakrishnan et Thakor (1984), Boyd et Prescott (1986), Williamson (1986), Allen (1990)

[11] Voir chapitre 4

[12] Voir Vander Vennet (1994), Paribas (1998), McFadden (2008) 

[13]Trouver des chiffres, sources.

[14] De Keuleneer (2003)

[15] De Keuleneer (2003)

[16]Voir Ayadi et al. (2002)

[17]Voir Bliss et Rosen (2001)

[18] Voir Berger et Hannan (1998)

[19] Les secteurs bancaires plus concentrés entrainent des pouvoir de marché importants qui permettent aux banques d’imposer des taux d’intérêts plus élevés pour leurs clients. Boyd and De Nicoló (2005)

[20] Voir Straub (2007)

[21] Voir Bain et al. (2000), Amel et al. (2004), Mueller et Yurtoglu (2007).

[22] Voir Berger alii, (1999)

[23] Voir Hannan (1991), Rhoades (1998), Berger  alii, (1999)

[24] Voir Hannan et Prager (1995)

[25] Voir Berger, A. N., Hunter, W. C., Timme, S. G., 1993. Pour l’Union Européenne, voir Vander Vennet, R., 1996.

[26] Voir Rhoades, S. A., 1993, Sapienza, P., 2002.

[27] Voir Fixler, D. J., Zieschang, K. D., 1993.

[28] Références livres Marc Roche, … sur Wall Street

[29] Voir Chen, H-C., Ritter, JR., 2000, De Keuleneer, E., 2003.

[30] Voir Bao, J., Edmans, A., 2009, pour la performance du conseil en matière de fusions et acquisitions et Guner, N., Onder, Z., Rhoades, S. D., 2004, pour la performance du conseil en matière d’IPO.

 

[32] Story, L. (October 17, 2010). Banks shared clients profits but not losses. The New York Times.

[33] « Heads I win, tails you loose »

[34] Voir De Keuleneer, E., 2003.

Electrabel a abusé de la confiance du consommateur

09:35 – 21 septembre 2012 par François-Xavier Lefèvre
Eric De Keuleneer: « Electrabel a abusé de la confiance du consommateur »
Eric De Keuleneer n’a pas sa langue en poche. Résultat, il donne volontiers son avis. Professeur à la Solvay Brussels School, ancien administrateur indépendant de Luminus et maintenant de Lampiris, il connaît le secteur de l’énergie sur le bout des doigts. Ses avis, et ses prises de position sur Electrabel sont souvent critiquées. Mais il est tenace. Il assume le qualificatif de franc-tireur.

« Je ne demanderais pas mieux qu’il y ait d’autres francs-tireurs mais peu de personnes semblent oser critiquer le système mis en place par Electrabel. Je constate cependant que différentes personnes me confortent dans mes analyses ».
Il s’exprime aujourd’hui à titre personnel sur les mesures étudiées par le gouvernement pour remettre un peu d’ordre dans le secteur. Son objectif? « Je tente de susciter des débats sur les points importants. Le secteur de l’énergie n’est pas un secteur comme un autre. Il est important de le rappeler. L’électricité n’est pas nécessairement un bien qui peut être géré sur base d’un mécanisme de marché. S’il y a des acteurs publics ou privés qui acceptent ou revendiquent des missions d’intérêt général, il faut qu’ils s’en montrent dignes ».
Les mesures annoncées par le gouvernement pour remettre de l’ordre dans les tarifs du gaz et de l’électricité vont-elles dans la bonne direction?
Express
Depuis le premier avril, les prix du gaz et de l’électricité sont gelés. L’objectif visé par le secrétaire d’État à l’Énergie est de remettre de l’ordre dans les tarifs et rééquilibrer le marché.
La mesure va être levée d’ici la mi-octobre pour les fournisseurs qui indexent déjà leurs tarifs sur les Bourses du gaz et de l’électricité.
Une taxe nucléaire de 550 millions d’euros est également en préparation pour capter la rente nucléaire.
Oui! La logique d’indexation sur le pétrole se basait sur le prix de revient réel mais elle a été dévoyée. C’est cette indexation dévoyée qui fait que les prix sont si élevés. Reste maintenant au gouvernement de concrétiser son intention. À lui aussi de capter la rente nucléaire sur de bonnes bases. Il ne faut pas oublier que les prix de l’électricité en Belgique intègrent la rente nucléaire mais aussi la rente de monopole d’Electrabel. Les prix sont trop élevés, surtout chez les fournisseurs par défaut comme Electrabel. Il est donc également important de capter cette rente.
D’autres initiatives sont-elles à prendre?
Il faut travailler sur les capacités de réserve. Il est anormal qu’une centrale comme la station de pompage de Coo destinée à équilibrer le réseau, reste entre les mains d’Electrabel. Elle doit être transférée à Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité. Cette centrale a été entièrement payée par les consommateurs et aujourd’hui Elia paye une prime importante à Electrabel pour sa disponibilité. Pour moi, cela s’appelle une rente de réserve, un peu à l’image de la rente nucléaire.
Du côté des fournisseurs, la pression semble au maximum?
Oui et je suis persuadé qu’il faut limiter aujourd’hui la capacité de certains fournisseurs qui pratiquent des prix différents entre un ancien et un nouveau client. Aujourd’hui, le client inerte chez Electrabel a le tarif le moins avantageux. Ce n’est effectivement pas normal.
Ne craignez-vous pas un phénomène de rattrapage chez les fournisseurs avec une hausse des prix après le gel des indexations?
Non, les prix sur le marché de gros ne sont pas en hausse. Sur base des prix actuels, une baisse est même possible. Mais, cela dit, le gel des prix rigidifie le marché. Le blocage a été utile pour sensibiliser le consommateur et empêcher des indexations abusives mais je pense que la fin du gel des tarifs sera bienvenue et va redynamiser la concurrence.
Vous semblez ne pas aimer Electrabel. Pourquoi?
J’aime beaucoup Electrabel. C’est une entreprise remarquable qui a permis un développement international du groupe Tractebel-Electrabel aujourd’hui appelé GDF Suez. Mais je suis très critique par rapport à sa politique de prix aujourd’hui en Belgique.
Il ne faut pas s’acharner sur Electrabel. Il faut simplement que des règles amènent Electrabel à respecter ses clients.
Eric De Keuleneer,
Professeur à la Solvay Brussels School
Le principal problème est qu’ils pratiquent des prix abusifs avec des marges bénéficiaires excessives. Electrabel a abusé de la confiance du consommateur et du gouvernement. Jusqu’en 2007, les prix étaient régulés en Belgique. Et bien, pendant toute cette période datant d’avant la libéralisation, ils ont maximisé leurs coûts pour réduire leurs prix de revient. Ils ont toujours déclaré que cela allait bénéficier aux consommateurs avec des prix stables. Mais dans la pratique, les bénéfices dégagés par l’amortissement accéléré de leurs centrales et des lignes de transport n’ont pas été répercutés aux consommateurs. Je reproche à Electrabel d’avoir abusé de sa position de monopole et d’avoir facturé au moins deux fois de nombreux équipements aux consommateurs. Le profit a ensuite été accaparé par Electrabel.
Je leur reproche finalement de ne pas avoir géré, depuis plus de vingt ans, le secteur de l’électricité dans l’intérêt général, alors qu’ils s’y étaient engagés par de nombreuses conventions.
Vous ne les aimez donc pas…
L’entreprise est performante mais sa communication est opaque. GDF Suez gère cette entreprise dans son propre intérêt souvent contre celui des consommateurs belges. Electrabel affirme payer très cher son gaz. C’est très curieux car Electrabel avait toujours eu par le passé de nombreux contrats à long terme d’approvisionnement bon marché, indexés sur le charbon. Le groupe semble réserver à la Belgique son gaz le plus cher, et ainsi justifier les prix élevés en Belgique. Il y a par ailleurs toujours un mystère par rapport aux bénéfices d’Electrabel. Ils essaient de dissimuler la rente nucléaire. Les études de la Creg, et même celle de la Banque Nationale, ont pourtant démontré que la rente était plus élevée que les bénéfices déclarés d’Electrabel.
Est-il toujours l’opérateur dominant?
Moins… Le blocage des prix a eu un impact psychologique et a permis au marché de se réveiller.
Le gouvernement doit-il donc continuer à s’acharner sur cette entreprise?
Il ne faut pas s’acharner sur Electrabel. Il faut simplement que des règles amènent Electrabel à respecter ses engagements et ses clients. Le politique doit amener Electrabel à appliquer des tarifs raisonnables. Ce n’est pas de l’acharnement. C’est une entreprise très rentable qui fait d’énormes marges bénéficiaires au détriment des consommateurs. Nous avons en Belgique les prix de l’électricité les plus élevés d’Europe alors qu’ils devraient être les plus faibles. L’outil de production, qui est principalement propriété d’Electrabel, est parmi le moins cher d’Europe. C’est incompréhensible que les prix soient si élevés en Belgique alors que nous disposons d’un parc de production bon marché. Nous payons des prix comme l’Allemagne qui a beaucoup moins de nucléaire amorti et un programme gigantesque de renouvelable.
Outre sur la partie énergie, des économies sont-elles réalisables sur le transport et la distribution?
Le prix du transport est raisonnable mais par contre dans la distribution, il y a des anomalies de la part des intercommunales. Cette partie de la facture représente 40% du prix final. Les niveaux de rémunération exigés par les communes, qui sont actionnaires des intercommunales de distribution, vont parfois jusqu’à 15% sur fonds propre. Les pires capitalistes veulent du 15%. Pour une activité régulée comme la distribution où il y a que très peu de risques, la rémunération des capitaux devrait être au maximum entre 6 et 8%. Elle est même plus basse dans de nombreux pays.
Le problème est politique…
On fait comme si la rentabilité exagérée des intercommunales est un droit des actionnaires, à savoir les communes et Electrabel. Résultat, il y a des tarifs excessifs et les communes estiment que c’est légitime. C’est un problème politique et de bon sens. Si on veut taxer les citoyens, qu’on appelle une taxe: « une taxe », sans la privatiser.
Les intercommunales estiment cependant que les investissements sont importants et vont de plus en plus l’être compte tenu du développement de la production décentralisée…
Il faut certainement en tenir compte mais il ne faut pas affirmer que les tarifs doivent être trop élevés pour investir. Le politique doit bouger car la situation actuelle coûte cher aux consommateurs. À l’inverse, elle profite à de nombreux responsables communaux.
Une fusion des intercommunales aurait-elle du sens?
Je ne suis pas un grand partisan des économies d’échelle et il faut une bonne justification pour accentuer la taille. Une fusion n’est pas forcément un gage d’efficacité, et le fait d’avoir divers opérateurs pourrait permettre de comparer les coûts de fonctionnement. Mais en pratique la gestion est de plus en plus centralisée, les comparaisons de coûts sont absentes, alors on ne voit pas les raisons économiques contre les fusions.
L’Echo

Banks made drama out of Greek crisis

Sir, Philip Booth and his co-signatories are right (Letters, August 18). Greece returning to the drachma could happen without the chaos that has often been described and should be envisaged in the scenario they describe: the drachma is introduced while the euro continues being used and becomes a parallel currency, just like in the many countries that have been using parallel currencies for a long time – and just how the euro should have been introduced in Europe in a first stage.

Exactly which commitments within Greece would remain expressed in euros would have to be sorted out, but the existing Greek public debt would remain in euros, and so should various other commitments (maybe most present financial commitments). The Greek state and any citizen with more liabilities than assets in euros would thus be indebted in a currency different from the currency of their main income, but an indebtedness in a foreign currency is nothing unknown either.

The Greek state can indeed be helped in this, and Greek citizens with obvious difficulties also, at a fraction of the cost of the “Grexit” scenarios often mooted, and with all the advantages for Greece of leaving the constraints they cannot cope with. The euro system would lose one full member, but Greece could indeed remain associated, and the message would be very clear that the euro is a currency like any other and that, when a member leaves, its external financial commitments remain in euros, and that a member can leave without the currency itself being affected.

The nightmare scenarios of the euro splitting between various currencies, or between a soft “Club Med” euro and a hard “Hanseatic” one, which is often presented – without being substantiated – would prove useless. The persistence of these scenarios and the lack of formal commitment to a credible crisis-solving scenario ensuring the irrevocable sustainability of the euro, are a major component of the excessive cost of, for example, the Italian debt, as prime minister Mario Monti has repeatedly stressed.

Most southern European countries anyway need to reform their public sector, labour markets and social security financing, much more than they need competitive devaluations. A realistic scenario for a Greek euro exit and debt restructuring has, of course, been needed and possible since the beginning of the Greek crisis, but the banking lobby has preferred to dramatise any solutions involving a debt restructuring. This did limit some losses for some banks, but at a pretty sizeable cost to the economy and banks in general; but such are lobbies.

Eric De Keuleneer, Professor, Solvay Brussels School of Economics, Université Libre de Bruxelles, Belgium

Le métier de banquier

 

01/08/2012

 

Le métier de banquier est un des plus beaux métiers du monde, et il est important de bien le comprendre, de bien l’enseigner, et encore plus de bien le faire. C’est un métier essentiel pour l’économie, et pour la vie en société, c’est aussi un métier qui nécessite la confiance des clients et utilisateurs. Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics l’encadrent et le protègent, mais pour ces raisons aussi, il est possible aux banquiers de rentabiliser leurs activités d’une façon qui peut être exagérée. C’est la raison pour laquelle, quelles que soient les règles imposées à ces activités, il importe avant tout qu’elles soient confiées à des gens qui  sont capables, comme l’expliquait Adam Smith, de trouver leur intérêt personnel aussi dans la satisfaction de leurs clients et la préservation de leur réputation. En bref, des gens dont l’éthique  est  telle qu’ils sont motivés à travailler dans l’intérêt de leur banque.  C’est tout l’enjeu d’une bonne gouvernance, et d’une politique de recrutement et de rémunération cohérente avec la bonne gouvernance, qui  est très importante dans le monde bancaire.

Les techniques bancaires de base ne sont pas complexes, et certains principes de base puisent leur fondement dans l’histoire, mais leur compréhension est parfois rendue malaisée par un jargon spécifique, parfois rendu inutilement complexe. Nous souhaitons à travers cet ouvrage expliquer, de façon claire et illustrée, les principales techniques et activités bancaires, les services qu’elles offrent à l’économie, ainsi que leur gestion au quotidien.

Après une introduction visant à offrir une perspective historique du métier de banquier, du rôle et de la genèse de l’intermédiation financière, de la monnaie et du concept d’intérêt (chapitre 1), le livre passe en revue les différentes rubriques composant le bilan des banques :  les différentes structures de crédit bancaire communément octroyées aux entreprises et aux particuliers, ainsi que d’autres éléments à l’actif des banques (chapitre 2), les différentes sources de financement des banques (chapitre 3), le cas des financements hors-bilan, sous la forme d’opérations de titrisation (chapitre 4). Ensuite, le rôle des banques dans d’autres activités comme la gestion d’actifs, les opérations financières sur les marchés de capitaux, les activités de marché ou les activités de conseil en fusions et acquisitions, sera également largement exposé et illustré (chapitre 5). L’ouvrage guidera par la suite le lecteur à travers les différentes composantes du compte de résultats d’une banque (chapitre 6).  Seront ensuite introduits les différents types de risques (crédit, liquidité, taux d’intérêt, marché, opérationnel)  auxquels les banques sont exposées et quelques exemples d’outils de gestion de ces risques (chapitre 7), avant d’aborder la question du calcul des fonds propres réglementaires que les banques doivent maintenir et d’introduire le lecteur aux nouvelles normes de BâleIIIet de leur application dans l’Union Européenne (chapitre 8). Etant donné l’importance de pouvoir apprécier la solidité financière d’une banque, une série d’indicateurs-clés (chapitre 9), relatifs à l’analyse de la rentabilité, de la qualité des actifs, de la solvabilité et de la liquidité d’une banque seront discutés, avant d’aborder la question de la tarification des crédits (chapitre 10). Le livre conclura (chapitre 11) en dressant une série de perspectives et de défis à relever par le secteur bancaire dans les prochaines années.

L’approche préconisée dans l’ouvrage combinera de façon équilibrée explications théoriques nécessaires à la compréhension des sujets abordés et illustrations, réelles ou fortement inspirées de la réalité. Par ailleurs, quand cela s’avère utile, la terminologie correspondante en langue anglaise, sera également mentionnée. Notons enfin que le terme de « banque », utilisé tout au long de cet ouvrage, renvoie généralement aux banques ou aux holdings bancaires, sans distinction pratique.

1.1         A l’origine du métier de banquier…

Lorsque des commerçants s’échangent des biens et services sans exiger le paiement immédiat, l’acheteur encourt une dette vis-à-vis du vendeur, et le vendeur accepte de se satisfaire temporairement d’une créance sur l’acheteur, dans la mesure où il lui fait confiance. On dit aussi qu’il lui fait crédit. Depuis la plus haute antiquité, cette créance a été matérialisée par un écrit,  qui est donc un instrument de crédit.

Les prémices de la Finance moderne apparaissent au Moyen-Âge, lorsque des marchands européens prennent l’habitude de monétiser ces instruments de crédits en les faisant circuler entre marchands, particulièrement durant des foires et dans des lieux spécialisés qu’ils nomment des Bourses. Les marchands plus fortunés se portent acquéreurs de ces instruments de crédit, et les marchands qui le souhaitent peuvent alors en vendre et obtenir immédiatement un paiement qui resterait sinon différé. Moyennant une petite différence, que l’on appelle l’escompte, qui sera l’ancêtre du taux d’intérêt financier, et qui dépend de la qualité des débiteurs de l’instrument de crédit, ainsi que de la disponibilité de monnaie, et du risque général de l’économie.  Vers la fin du Moyen-Âge et à la Renaissance, des marchands se spécialisent dans  ce métier plus financier que commercial, et on les appellera des Banquiers, car leurs affaires se traitent sur des bancs (que l’on casse lorsqu’ils sont en déconfiture, en banqueroute, «  banca rota »).

Ces banquiers, souvent établis en Italie, en Lombardie, ces « Lombards », sont donc les premiers intermédiaires financiers modernes. Ils facilitent les échanges, dans l’espace et dans le temps.

Dans l’espace, car ils facilitent les échanges de biens entre les différentes contrées européennes. La circulation d’espèces métalliques y est difficile et dangereuse, et des papiers n’ayant de valeur que pour ceux qui les connaissent et les reconnaissent sont plus sûrs et aisés à transporter.

Dans le temps, car leur intervention permet des paiements différés, du crédit, de l’épargne rémunérée.

Le commerce européen s’étend à la méditerranée et ensuite au monde entier, et le crédit financier aide son développement  En fait c’est tout un système de paiement et de crédit que ces intermédiaires  aident à mettre en place, pour le plus grand bien du commerce et de l’économie. Ils se laissent aussi, dès les 12ième-13ième siècles, tenter  par les bénéfices apparents que promettent  les prêts à des Rois et Princes à court d’argent, les « risques souverains » de l’époque.  Depuis les Rois impécunieux de France, d’Angleterre ou d’Espagne (Charles Quint et son fils Philippe II, bien connus en Belgique), de nombreux « souverains » ont fait regretter aux banquiers d’avoir cherché là une extension « prometteuse » de leurs activités, en faisant régulièrement défaut sur leurs dettes, et  en menant parfois aussi leurs  banquiers au bûcher. Toute une époque….

1.2         Intermédiation financière

Dans un système économique, les échanges ont pour but de maximiser la satisfaction des individus. Dans quelle mesure les intermédiaires financiers contribuent-ils à cette satisfaction ?

Quand on considère le système le plus simple qui est celui du troc, on constate que son efficience est  limitée.  Il y a souvent difficulté à trouver dans un tel système une bonne équivalence entre offre et demande de deux individus quelconques. L’utilisation du crédit en complément du troc permet des échanges non-simultanés et accroît grandement l’efficience du système.  La combinaison du troc et du crédit donne d’excellents résultats tant que le degré de spécialisation de l’économie reste faible.

La spécialisation de la production entraîne l’apparition de lieux d’échanges, c’est-à-dire de marchés où un certain nombre d’individus « intermédiaires » jouent un rôle spécialisé pour l’échange de chaque type de biens, rôle qui est inductif d’efficience. Il y a donc passage d’un système à efficience limitée vers des systèmes à efficience plus élevée.

L’intermédiaire financier est donc une personne ou un organisme qui met en relation des fournisseurs et des utilisateurs de fonds. Ces derniers peuvent globalement se classer selon trois catégories d’agents économiques : les ménages, les entreprises et l’Etat. Comme le schéma ci-dessous le suggère, les agents économiques en surplus financier peuvent financer les agents économiques en déficit financier soit à travers le bilan des banques commerciales (en y déposant leur épargne, qui sera ensuite prêtée par la banque), soit en investissant dans les marchés financiers, où les agents économiques ayant besoin de capitaux lèvent des fonds. Les intermédiaires financiers jouent un rôle important dans les deux cas.

1.2.1                    Ménages

Le secteur des ménages est dans son ensemble généralement en surplus financier et génère une épargne nette positive. Ce secteur présente donc une capacité de financement et peut mettre ce surplus de ressources financières à la disposition des deux autres secteurs économiques, et ce, soit à travers le canal bancaire (en déposant son épargne auprès de la banque), soit en investissant dans les marchés financiers (actions, obligations), où les agents en déficit financier lèvent des capitaux.

1.2.2                    Entreprises

Le secteur des entreprises est en général globalement en (léger) déficit financier. Les entreprises ont besoin de fonds pour pouvoir financer leurs activités et leurs investissements. Ces fonds peuvent bien sûr être générés par l’entreprise même du fait de son exploitation industrielle ou commerciale, mais le secteur des entreprises dans son ensemble fait également appel au financement externe, soit en renforçant ses fonds propres (émission d’actions), soit en s’endettant. Dans ce dernier cas, l’entreprise peut soit décider de s’endetter en prenant un crédit venant d’un établissement de crédit, soit s’endetter directement sur les marchés financiers en émettant des titres de dettes (obligations). Il est intéressant de remarquer que la structure financière globale des entreprises varie selon les pays, et selon que l’on se situe en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs. Alors qu’en Europe, il est traditionnellement davantage fait appel au crédit bancaire, aux Etats-Unis, les entreprises, à travers les marchés des actions et des obligations, font plus tôt dans leur existence et davantage appel aux marchés financiers.  Dans les pays émergents, la première phase de développement correspond souvent à une période de bancarisation élevée des financements.

1.2.3                    Etats

Les Rois et les Princes, puis les premiers Etats, avaient régulièrement des besoins de financement  dépassant  leurs revenus (taxes, impôts et autres), pour des occasions telles que des guerres, des grands travaux, etc. Ils se finançaient souvent en concédant des privilèges divers, y compris la collecte d’impôts, dans des conditions souvent très coûteuses et contraignantes. Les pouvoirs publics modernes sont régulièrement en déficit pour les mêmes raisons, ou pour des raisons conjoncturelles, ou encore de facilité politique. Ils ont recours à un type de financement principal, qui est aussi  globalement le moins coûteux,  l’émission de bons du Trésor, l’emprunt obligataire.

Ce type de financement est apparu au 17ième siècle à Amsterdam. Les marchands flamands avaient raffiné, aux 15ième et 16ième siècles, les techniques financières et inventé l’utilisation de bourses de valeurs à Bruges et Anvers pour faciliter la mobilisation de capitaux pour le commerce. Emigrés à Amsterdam après le sac d’Anvers et les persécutions religieuses, ils y développèrent leurs affaires, et la place d’Amsterdam vit apparaître au 17ième siècle les premiers emprunts d’Etat, pour financer la jeune république des Provinces-Unies. Notons que rapidement ce marché vit apparaître des emprunts de type communautaire : la province de Hollande, de loin la plus riche et la plus solide financièrement, empruntait pour compte des autres provinces (Zélande, Frise, etc), dans le cadre d’accords économiques et politiques aidant à la convergence de leurs économies.

Notons aussi que le Royaume-Uni fut prompt à copier cette invention, et que les deux pays surent l’utiliser pour réunir en cas de besoin rapidement et à bon compte des capitaux considérables, qui leur permirent de partir à la conquête commerciale du monde, et de mener des guerres contre des pays plus grands et peuplés, bien que leurs économies et leur rayonnement international fut au début du 17ième bien inférieur à celui du Portugal, de l’Espagne ou de la France. Ces pays n’avaient à la fin du 18ième siècle pas encore adopté ce type de financement, avec des conséquences parfois désastreuses sur leurs finances publiques. Dans les années 1780, la France était le pays le plus riche d’Europe, mais la désorganisation de la dette publique, qui était la dette du Roi, l’obligeait à recourir à la privatisation accélérée des ressources publiques, dont la collecte de l’impôt, avec les dramatiques conséquences sociales qui menèrent à la Révolution.  

Le deuxième type de financement est le recours au crédit bancaire, formule nettement moins sollicitée en direct par les Etats, bien qu’indirectement les banques financent largement les Etats en achetant des obligations d’Etat. Le financement direct ou indirect des Etats par les banques n’est pas toujours une bonne chose,  ni pour les Etats, encouragés à emprunter trop (les banquiers manquent souvent de sagesse dans le financement des Etats, depuis au moins 700 ans), ni pour les banques, qui ont souvent du mal à se faire rembourser.

 Une forme de financement illusoire et parfois même dangereuse est la vente de concessions, d’actifs de l’Etat, de modernes privilèges, forts coûteux pour l’Etat et rentables pour certains partenaires privés.

1.3         La monnaie

L’apparition de la monnaie facilite les échanges et favorise la spécialisation. Elle renforce ainsi l’efficience du système : il devient possible d’échanger cette monnaie, qui peut être  un bien particulier (harpons, colliers, pierres à trou, or, argent, cigarettes en temps de guerre …) ou un signe conventionnel (pièce métallique frappée, papier imprimé) quelconque accepté par les participants au système, qu’on appellera la monnaie, contre les divers éléments à échanger et il suffit de savoir combien de signes monétaires sont nécessaires pour acheter la marchandise ou le service souhaités.

1.3.1                    Trois rôles de la monnaie

Pour être une monnaie, il faut réunir trois attributs essentiels :

4      Moyen de paiement : La monnaie est avant tout un moyen de paiement, accepté en principe par tous les agents économiques de la zone monétaire ;

4      Etalon de mesure : La monnaie, en tant qu’étalon de mesure (ou « unité de compte ») relative des choses, permet de : mesurer des coûts, mesurer des revenus, mesurer le pouvoir d’achat, tenir une comptabilité, évaluer un patrimoine, etc ;

4      Réservoir de valeur : La monnaie est également un réservoir de valeur et devient un actif en soi. A ce titre, elle doit avoir un certain nombre de caractéristiques : un coût de conservation peu élevé, une liquidité parfaite, une sécurité à l’égard des dettes exprimées en cette monnaie, une sécurité par rapport au pouvoir d’achat (qui peut être mise en danger, notamment en période d’inflation), pas de rentabilité en soi.

1.3.2                    La monnaie facilite et sécurise l’épargne

Elément important, la monnaie permet de différer dans le temps la satisfaction de certains besoins dont on peut prévoir l’apparition à un certain moment ou dont on préfère étaler l’assouvissement : cette postposition – ou épargne monétaire – est donc un facteur d’optimisation des satisfactions.

1.3.3                    Les monnaies dominantes – les monnaies parallèles

Il arrive que diverses monnaies soient utilisées dans un espace économique.  On parle alors de  monnaies parallèles.  Lorsque diverses monnaies sont utilisées au sein d’un espace économique, ou entre divers espaces économiques interconnectés, il est usuel qu’une monnaie soit dominante, et serve de « monnaie des monnaies », c’est-à-dire de pivot par rapport auquel les autres sont mesurées et échangées. Durant des millénaires les métaux précieux, surtout or et argent ont joué ce rôle, et progressivement depuis le Moyen-Âge, des pièces d’or et d’argent ont aussi été acceptées dans des échanges à longue distance, de même que les instruments de crédit qui se basaient sur elles. Au cours du 20ième siècle, la Livre Sterling et l’or avant la 2ème guerre, le dollar américain ensuite, ont joué ce rôle dans le commerce mondial et les marchés financiers.

1.3.4                    Le seigneuriage

Le fait de pouvoir émettre une monnaie représente la capacité à créer une valeur d’échange.

De tout temps, les institutions émettant la monnaie ont compris l’avantage économique que l’on peut en tirer.  Un kilo d’or vaut un kilo d’or, mais si un souverain ou  une institution peut au départ d’un kilo d’or fabriquer 1.000 pièces, contenant chacune 1 gramme d’or et deux grammes de plomb, et dont la valeur monétaire est de 3 grammes d’or, cette institution a en terme économique pu gagner l’équivalent de 2 kilos d’or. 

Au cours du Moyen-Âge, l’institution qui pouvait faire cela était généralement liée au Roi, au seigneur.  C’est la raison pour laquelle les économistes l’on appelée, dans diverses langues : le « Seigneuriage ».  Dès lors que le seigneur « noircit » ou « allège » exagérément sa monnaie (c’est-à-dire y ajoute trop de plomb ou autre métal vil), la confiance dans la valeur de cette monnaie diminue, les prix augmentent et l’inflation apparaît.  Dès que l’usage des monnaies s’est installé, on s’est aperçu que le problème n’est en fait pas tellement lié au contenu en or ou en argent de la monnaie, mais à la quantité de monnaie par rapport aux besoins de l’économie.  . Les problèmes de gestion optimale de masse monétaire et de l’impact de celle-ci sur la stabilité des prix sont donc très anciens.

L’utilisation de papier comme support monétaire est une étape logique vers l’abstraction monétaire.  Malgré son apparition très ancienne (probablement au 10ième siècle en Chine), la monnaie papier ne s’est imposée que difficilement, entre le 17ième et le 20ième siècle.  Elle s’est imposée sous forme de billet de banque, gérée par des banques (centrales ou pas), à une convergence entre l’évolution de la monnaie « allégée » et l’évolution des instruments de crédit  développés par les banques depuis le Moyen-Âge.  La rigueur de gestion fut une condition nécessaire du succès du billet de banque ; au départ les effets bancaires au porteur étaient émis en contrepartie de marchandise ou de stock monétaire.  Ce n’est que dans la mesure où les quantités émises restaient « raisonnables » que la confiance dans le papier monnaie a pu s’établir et se maintenir.

Ce seigneuriage est un avantage au sens économique du terme pour les pays qui en bénéficient, mais il importe qu’ils n’en abusent pas.  Le financement des besoins de l’Etat par l’émission de monnaie est une tentation aussi ancienne que l’apparition de la monnaie souveraine ; il est très rare que le recours au financement monétaire de l’Etat  ne débouche pas sur des excès, et la perte de confiance dans la monnaie.

1.4         Les taux d’intérêt

Depuis que la monnaie existe, elle sert entre autres à calculer la rémunération des délais de paiement et des prêts.  Diverses formes de participations aux bénéfices de l’emprunteur existent, mais la forme qui s’est imposée pour rémunérer le prêt d’un montant connu pour une durée connue, est le taux d’intérêt en principe fixé au départ.

Chez les Grecs et les Romains, les taux d’intérêt semblent avoir été exprimés au début en unités monétaires : une drachme par mine (de cent drachmes) par mois, une once par livre, etc.…  Notons que un centième par mois représente environ  12 % par an, et semble avoir été un maximum légal fréquemment appliqué.  Il semblerait qu’à la fin de l’Empire, le pourcentage était généralisé.

L’antiquité connaît donc l’intérêt, et distingue l’intérêt normal de l’usure.  La morale chrétienne a interdit très longtemps le prêt à intérêt, en s’appuyant sur une interprétation arbitraire de l’Evangile.  L’Islam aussi a été – et est toujours – hostile au prêt à intérêt, mais il est favorable depuis toujours  au profit marchand, à certaines conditions éthiques. Ceci a d’ailleurs contribué à la grandeur de l’Islam durant les nombreux siècles où il a dominé économiquement le monde ancien, et culturellement et politiquement de vastes territoires. Le cadre moral défini par l’Islam pour les activités des intermédiaires financiers est assez strict, et est devenu très élaboré depuis les années 1980. Il fait l’objet de règles spécifiques, la Finance Islamique, qui fait l’objet de nombreuses publications et recherches, mais que nous n’abordons pas dans ce livre. Le profit était aussi mal vu que le prêt à intérêt dans la morale chrétienne ancienne, jusqu’aux 13ième – 14ième siècles.  Depuis le 16ième siècle et surtout le 17ième siècle, et les succès économiques des pays protestants, le profit marchand et le prêt à intérêt se sont banalisés dans la chrétienté.  La notion d’usure a cependant toujours été présente, pour combattre les taux d’intérêt excessifs. Le métier d’intermédiaire financier a donc depuis toujours été fortement lié à des questions d’éthique. Les banquiers l’oublient régulièrement, fort malheureusement pour l’économie et leurs clients, et en définitive pour eux-mêmes.

1.5         Intervention des pouvoirs publics

Le degré d’intervention publique a connu des fluctuations dans le temps.  Ainsi, la crise financière des années 30 a provoqué une vague mondiale de régulations nationales, entraînant souvent la spécialisation obligatoire de certains types d’intermédiaires financiers.  La concurrence, considérée comme un des facteurs ayant déstabilisé le secteur dans les années 30, fut plutôt découragée ; des limites furent imposées dans différents pays aux taux que les banques pouvaient payer aux déposants (pour éviter les surenchères parfois meurtrières de la part de banques aux abois), et les accords tarifaires étaient encouragés par les pouvoirs publics. En gros, les pouvoirs publics encourageaient une organisation du secteur de sorte que même la banque la moins bien gérée d’un pays soit encore rentable, avec des règles protectionnistes qui limitaient aussi la concurrence internationale. Le secteur se caractérisa dès lors rapidement par des institutions de toutes tailles, et d’une grande diversité de qualité de gestion et de services, ainsi que par une grande rigidité.

Depuis les années 70, en raison de distorsions et d’inefficacités induites par ces règlements, il s’est manifesté une tendance inverse à l’assouplissement réglementaire, avec une  tendance à la déspécialisation des intermédiaires, et un encouragement à la concurrence, tout en maintenant en place des contrôles plus légers, appelés contrôles prudentiels,  surtout destinés à ce que les risques pris par les banques soient mesurés, et (en théorie) compensés par des capitaux propres suffisants  Pratiquées à des rythmes différents selon les pays et les tendances de leurs gouvernants, ces dérégulations se heurtent depuis les années 90 à des crises financières à répétition, et à la nécessité de réaliser diverses harmonisations internationales en même temps qu’une re-régulation pour limiter les chocs financiers et économiques causés par ces crises.

La libéralisation avait déjà été accompagnée non seulement de la mise en place (difficile) du contrôle prudentiel, mais aussi de mesures diverses visant à protéger les clients et les marchés d’éventuels abus (manipulation de marchés,information déficiente ou mensongère, etc). Il s’agit à l’avenir d’aller plus loin et de retrouver une stabilité des intermédiaires financiers que les mécanismes de marché laissés à eux-mêmes ne peuvent apporter.

Les transformations technologiques (et notamment l’importance croissante de l’évolutioninformatique), la déréglementation, l’introduction de l’Euro, la globalisation financière et les privatisations ont intensifié le potentiel de concurrence et amené de nouveaux services et des possibilités de gains d’efficience ; les fusions et les acquisitions ont été nombreuses, amenant une consolidation parfois nécessaire dans un secteur comptant des acteurs fragiles, et fonctionnant comme mécanisme de sélection naturelle. Cependant, cette consolidation a parfois aussi été trop importante  au point de réduire dangereusement la concurrence et d’amener des risques de complexité incontrôlable et de dominations abusives des marchés. Là aussi, de meilleurs équilibres doivent être trouvés…

 

Recapitalizing troubled Banks in trouble times: deep discounts and compensating options

Recapitalizing troubled Banks in trouble times: deep discounts and compensating options

Various governments have to recapitalize some of their banks since 2008. The way they do it is very different across countries, and from bank to bank. The real cost to the banks and their shareholders is very different too. In some cases recapitalizations are done through the issuance of common shares, in others through the issuance of preferred shares, subordinated debt, or other quasi capital.

Quasi capital: convertible or not, some kind of junior debt or interest-bearing equity.
The interest rate on these quasi-capital instruments, and the conditions at which the bank can repay them or buy them back from the State vary greatly from one case to another; a recapitalization exercise can give an impression (to competitors at least) of very friendly terms amounting to subsidies, or inversely (at least to the bank being bailed out and its shareholders) the impression of a very harsh and unfair treatment. Sometimes even both. Of course these complicated securities issues are very popular with investment bankers and lawyers, because they justify the high fees charged on those exercises ; they might thus be promoted by some as being the best –or the only- way to go. In case the bank’s situation deteriorates following the recapitalization, the State may not even receive any proper remuneration on his investment (due to the features of non mandatory / non cumulative coupons necessary to achieve a Tier 1 treatment) and may not even be paid back. In case the bank’s situation improves, the State may be paid back and the State does not receive a sufficient remuneration for the risks it took.

Common share issues have the merit of simplicity, but the pricing can be challenging.
A common share issue is simple but difficult to price
The recap can be done through a share issue, provided of course the bank has some kind of authorized capital, which banks should have.

The bank may have to give preferential rights to existing shareholders (through the issuance of subscription rights). Some share issues have been done in difficult markets with deep discounts and preferential rights for existing shareholders, but this has often resulted in a drop in the value of the right, a subsequent drop in the share price, and a dramatic loss of capitalization for the banks concerned, leaving the shareholders who did not subscribe (often because the information they were provided was not very reliable) with large losses, and short sellers with large gains. Moreover, it is difficult to reconcile preferential rights with the timing constraints. It is in practice better to envisage an issue where the subscription rights of existing shareholders are waived.

An issue underwritten by the state, without preferential rights for existing shareholders, is still difficult to price because waiving preferential rights requires a “market pricing”. The recapitalization is often done in periods that are very critical for the bank, or the financial markets, and thus market prices can be distorted, amongst other by speculative attacks on the bank. A too high price amounts to a subsidy for the bank and its existing shareholders; it also means the government may have more difficulty and need more time to get its money back, and quit a role of shareholder it usually does not want to play. A too low price creates an exaggerate dilution that could be unfair for the existing shareholders, and anyway is an encouragement for the short sellers and other speculators who sold the shares with the hope of driving down the price and buying back at a large profit. Some banks are not listed, which can make new share issues even more difficult to price.

Hence the proposal to combine a capital increase subscribed by the State at a deep discount with an option (for the bank itself) to buy back the shares from the State, which compensates existing shareholders for the subscription rights they have to forego.

A pricing solution which limits the risk of mispricing
-the Government and the bank determine an Apparent Fair Value (AFV), based on market prices if available, or the best available knowledge of the book value and any justified corrections to this book value, as well as prospective profitability. By default, the AFV should be close to the average market price of the last few days for listed banks, and the best assessment of the book value for non listed banks.

-the issue price is set at 30% of the AFV (thus a 70% discount, in the range of observed discounts in the market for new rights issues transactions during troubled times), and the shares are bought by the State.

-the State sells to the bank an option, valid during 3 (or 5) years to buy back the shares at issue price plus an increment defined at least as the cost of equity for the period of the State investment. For example, if the State subscribed at 5 euro per share, the strike price of the option could be fixed at 6.7 euro (3 years) or 8 euro (5 years), ensuring a return of 10% p.a. for the State (in case shares are bought back). A subsidy-free level for the cost of equity can rather objectively be defined : the “expected return” for equity investment in banks in normal market conditions, possibly corrected for other objective indications (for instance a bank with an announced target of return on equity substantially higher than the expected return, might be applied a higher cost of equity). A correctly defined cost of equity thus means there is no subsidy on the option-strike level.

-the price at which the option is sold would then be the main reason to consider a subsidy is granted. The pricing of such an option in such market circumstances is very difficult. Most of the value comes from the deep discount which was set arbitrarily, and should be neutralized. In fact giving the option for free is of course a subsidy, but hardly one that distorts competition: the bank can only take advantage of it if it is able to buy back the shares, meaning that after a few years it appears either that the issue price was too low, or anyway that the bank could generate a better return than the cost of equity. Probably the best way to integrate the cost of the option is to add some percentage points to the strike price. Thereby, the cost for the bank during a crisis is very limited, but if it soon appears that the bank had been victim of a temporary crisis and is able to quickly buy back its shares, it can do so and return to normal, but the State is remunerated for the effort and the risks it took.

-It could be foreseen that the State is able to shorten the exercise period under certain circumstances (like a dramatic improvement in the share price and market conditions). Anyway, the option and its attractiveness could be an effective way to catch short sellers and speculators wrong-footed, and discourage raids on banks.
In case the bank’s situation deteriorates following the recapitalization, the State would not have overpaid (given the deep discount at which he subscribed). In case the bank’s situation improves, the State will be paid back and appropriately remunerated.

I think this scheme could have kept Fortis as an independent player, at a much-reduced cost and risk for the Belgian State, and allowed the recapitalization of Dexia at a more realistic price for the public shareholders who funded it. It could also have been used easily and effectively for ING, the English banks, etc.

Eric De Keuleneer
Solvay- ULB