Le métier de banquier

 

01/08/2012

 

Le métier de banquier est un des plus beaux métiers du monde, et il est important de bien le comprendre, de bien l’enseigner, et encore plus de bien le faire. C’est un métier essentiel pour l’économie, et pour la vie en société, c’est aussi un métier qui nécessite la confiance des clients et utilisateurs. Pour toutes ces raisons, les pouvoirs publics l’encadrent et le protègent, mais pour ces raisons aussi, il est possible aux banquiers de rentabiliser leurs activités d’une façon qui peut être exagérée. C’est la raison pour laquelle, quelles que soient les règles imposées à ces activités, il importe avant tout qu’elles soient confiées à des gens qui  sont capables, comme l’expliquait Adam Smith, de trouver leur intérêt personnel aussi dans la satisfaction de leurs clients et la préservation de leur réputation. En bref, des gens dont l’éthique  est  telle qu’ils sont motivés à travailler dans l’intérêt de leur banque.  C’est tout l’enjeu d’une bonne gouvernance, et d’une politique de recrutement et de rémunération cohérente avec la bonne gouvernance, qui  est très importante dans le monde bancaire.

Les techniques bancaires de base ne sont pas complexes, et certains principes de base puisent leur fondement dans l’histoire, mais leur compréhension est parfois rendue malaisée par un jargon spécifique, parfois rendu inutilement complexe. Nous souhaitons à travers cet ouvrage expliquer, de façon claire et illustrée, les principales techniques et activités bancaires, les services qu’elles offrent à l’économie, ainsi que leur gestion au quotidien.

Après une introduction visant à offrir une perspective historique du métier de banquier, du rôle et de la genèse de l’intermédiation financière, de la monnaie et du concept d’intérêt (chapitre 1), le livre passe en revue les différentes rubriques composant le bilan des banques :  les différentes structures de crédit bancaire communément octroyées aux entreprises et aux particuliers, ainsi que d’autres éléments à l’actif des banques (chapitre 2), les différentes sources de financement des banques (chapitre 3), le cas des financements hors-bilan, sous la forme d’opérations de titrisation (chapitre 4). Ensuite, le rôle des banques dans d’autres activités comme la gestion d’actifs, les opérations financières sur les marchés de capitaux, les activités de marché ou les activités de conseil en fusions et acquisitions, sera également largement exposé et illustré (chapitre 5). L’ouvrage guidera par la suite le lecteur à travers les différentes composantes du compte de résultats d’une banque (chapitre 6).  Seront ensuite introduits les différents types de risques (crédit, liquidité, taux d’intérêt, marché, opérationnel)  auxquels les banques sont exposées et quelques exemples d’outils de gestion de ces risques (chapitre 7), avant d’aborder la question du calcul des fonds propres réglementaires que les banques doivent maintenir et d’introduire le lecteur aux nouvelles normes de BâleIIIet de leur application dans l’Union Européenne (chapitre 8). Etant donné l’importance de pouvoir apprécier la solidité financière d’une banque, une série d’indicateurs-clés (chapitre 9), relatifs à l’analyse de la rentabilité, de la qualité des actifs, de la solvabilité et de la liquidité d’une banque seront discutés, avant d’aborder la question de la tarification des crédits (chapitre 10). Le livre conclura (chapitre 11) en dressant une série de perspectives et de défis à relever par le secteur bancaire dans les prochaines années.

L’approche préconisée dans l’ouvrage combinera de façon équilibrée explications théoriques nécessaires à la compréhension des sujets abordés et illustrations, réelles ou fortement inspirées de la réalité. Par ailleurs, quand cela s’avère utile, la terminologie correspondante en langue anglaise, sera également mentionnée. Notons enfin que le terme de « banque », utilisé tout au long de cet ouvrage, renvoie généralement aux banques ou aux holdings bancaires, sans distinction pratique.

1.1         A l’origine du métier de banquier…

Lorsque des commerçants s’échangent des biens et services sans exiger le paiement immédiat, l’acheteur encourt une dette vis-à-vis du vendeur, et le vendeur accepte de se satisfaire temporairement d’une créance sur l’acheteur, dans la mesure où il lui fait confiance. On dit aussi qu’il lui fait crédit. Depuis la plus haute antiquité, cette créance a été matérialisée par un écrit,  qui est donc un instrument de crédit.

Les prémices de la Finance moderne apparaissent au Moyen-Âge, lorsque des marchands européens prennent l’habitude de monétiser ces instruments de crédits en les faisant circuler entre marchands, particulièrement durant des foires et dans des lieux spécialisés qu’ils nomment des Bourses. Les marchands plus fortunés se portent acquéreurs de ces instruments de crédit, et les marchands qui le souhaitent peuvent alors en vendre et obtenir immédiatement un paiement qui resterait sinon différé. Moyennant une petite différence, que l’on appelle l’escompte, qui sera l’ancêtre du taux d’intérêt financier, et qui dépend de la qualité des débiteurs de l’instrument de crédit, ainsi que de la disponibilité de monnaie, et du risque général de l’économie.  Vers la fin du Moyen-Âge et à la Renaissance, des marchands se spécialisent dans  ce métier plus financier que commercial, et on les appellera des Banquiers, car leurs affaires se traitent sur des bancs (que l’on casse lorsqu’ils sont en déconfiture, en banqueroute, «  banca rota »).

Ces banquiers, souvent établis en Italie, en Lombardie, ces « Lombards », sont donc les premiers intermédiaires financiers modernes. Ils facilitent les échanges, dans l’espace et dans le temps.

Dans l’espace, car ils facilitent les échanges de biens entre les différentes contrées européennes. La circulation d’espèces métalliques y est difficile et dangereuse, et des papiers n’ayant de valeur que pour ceux qui les connaissent et les reconnaissent sont plus sûrs et aisés à transporter.

Dans le temps, car leur intervention permet des paiements différés, du crédit, de l’épargne rémunérée.

Le commerce européen s’étend à la méditerranée et ensuite au monde entier, et le crédit financier aide son développement  En fait c’est tout un système de paiement et de crédit que ces intermédiaires  aident à mettre en place, pour le plus grand bien du commerce et de l’économie. Ils se laissent aussi, dès les 12ième-13ième siècles, tenter  par les bénéfices apparents que promettent  les prêts à des Rois et Princes à court d’argent, les « risques souverains » de l’époque.  Depuis les Rois impécunieux de France, d’Angleterre ou d’Espagne (Charles Quint et son fils Philippe II, bien connus en Belgique), de nombreux « souverains » ont fait regretter aux banquiers d’avoir cherché là une extension « prometteuse » de leurs activités, en faisant régulièrement défaut sur leurs dettes, et  en menant parfois aussi leurs  banquiers au bûcher. Toute une époque….

1.2         Intermédiation financière

Dans un système économique, les échanges ont pour but de maximiser la satisfaction des individus. Dans quelle mesure les intermédiaires financiers contribuent-ils à cette satisfaction ?

Quand on considère le système le plus simple qui est celui du troc, on constate que son efficience est  limitée.  Il y a souvent difficulté à trouver dans un tel système une bonne équivalence entre offre et demande de deux individus quelconques. L’utilisation du crédit en complément du troc permet des échanges non-simultanés et accroît grandement l’efficience du système.  La combinaison du troc et du crédit donne d’excellents résultats tant que le degré de spécialisation de l’économie reste faible.

La spécialisation de la production entraîne l’apparition de lieux d’échanges, c’est-à-dire de marchés où un certain nombre d’individus « intermédiaires » jouent un rôle spécialisé pour l’échange de chaque type de biens, rôle qui est inductif d’efficience. Il y a donc passage d’un système à efficience limitée vers des systèmes à efficience plus élevée.

L’intermédiaire financier est donc une personne ou un organisme qui met en relation des fournisseurs et des utilisateurs de fonds. Ces derniers peuvent globalement se classer selon trois catégories d’agents économiques : les ménages, les entreprises et l’Etat. Comme le schéma ci-dessous le suggère, les agents économiques en surplus financier peuvent financer les agents économiques en déficit financier soit à travers le bilan des banques commerciales (en y déposant leur épargne, qui sera ensuite prêtée par la banque), soit en investissant dans les marchés financiers, où les agents économiques ayant besoin de capitaux lèvent des fonds. Les intermédiaires financiers jouent un rôle important dans les deux cas.

1.2.1                    Ménages

Le secteur des ménages est dans son ensemble généralement en surplus financier et génère une épargne nette positive. Ce secteur présente donc une capacité de financement et peut mettre ce surplus de ressources financières à la disposition des deux autres secteurs économiques, et ce, soit à travers le canal bancaire (en déposant son épargne auprès de la banque), soit en investissant dans les marchés financiers (actions, obligations), où les agents en déficit financier lèvent des capitaux.

1.2.2                    Entreprises

Le secteur des entreprises est en général globalement en (léger) déficit financier. Les entreprises ont besoin de fonds pour pouvoir financer leurs activités et leurs investissements. Ces fonds peuvent bien sûr être générés par l’entreprise même du fait de son exploitation industrielle ou commerciale, mais le secteur des entreprises dans son ensemble fait également appel au financement externe, soit en renforçant ses fonds propres (émission d’actions), soit en s’endettant. Dans ce dernier cas, l’entreprise peut soit décider de s’endetter en prenant un crédit venant d’un établissement de crédit, soit s’endetter directement sur les marchés financiers en émettant des titres de dettes (obligations). Il est intéressant de remarquer que la structure financière globale des entreprises varie selon les pays, et selon que l’on se situe en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs. Alors qu’en Europe, il est traditionnellement davantage fait appel au crédit bancaire, aux Etats-Unis, les entreprises, à travers les marchés des actions et des obligations, font plus tôt dans leur existence et davantage appel aux marchés financiers.  Dans les pays émergents, la première phase de développement correspond souvent à une période de bancarisation élevée des financements.

1.2.3                    Etats

Les Rois et les Princes, puis les premiers Etats, avaient régulièrement des besoins de financement  dépassant  leurs revenus (taxes, impôts et autres), pour des occasions telles que des guerres, des grands travaux, etc. Ils se finançaient souvent en concédant des privilèges divers, y compris la collecte d’impôts, dans des conditions souvent très coûteuses et contraignantes. Les pouvoirs publics modernes sont régulièrement en déficit pour les mêmes raisons, ou pour des raisons conjoncturelles, ou encore de facilité politique. Ils ont recours à un type de financement principal, qui est aussi  globalement le moins coûteux,  l’émission de bons du Trésor, l’emprunt obligataire.

Ce type de financement est apparu au 17ième siècle à Amsterdam. Les marchands flamands avaient raffiné, aux 15ième et 16ième siècles, les techniques financières et inventé l’utilisation de bourses de valeurs à Bruges et Anvers pour faciliter la mobilisation de capitaux pour le commerce. Emigrés à Amsterdam après le sac d’Anvers et les persécutions religieuses, ils y développèrent leurs affaires, et la place d’Amsterdam vit apparaître au 17ième siècle les premiers emprunts d’Etat, pour financer la jeune république des Provinces-Unies. Notons que rapidement ce marché vit apparaître des emprunts de type communautaire : la province de Hollande, de loin la plus riche et la plus solide financièrement, empruntait pour compte des autres provinces (Zélande, Frise, etc), dans le cadre d’accords économiques et politiques aidant à la convergence de leurs économies.

Notons aussi que le Royaume-Uni fut prompt à copier cette invention, et que les deux pays surent l’utiliser pour réunir en cas de besoin rapidement et à bon compte des capitaux considérables, qui leur permirent de partir à la conquête commerciale du monde, et de mener des guerres contre des pays plus grands et peuplés, bien que leurs économies et leur rayonnement international fut au début du 17ième bien inférieur à celui du Portugal, de l’Espagne ou de la France. Ces pays n’avaient à la fin du 18ième siècle pas encore adopté ce type de financement, avec des conséquences parfois désastreuses sur leurs finances publiques. Dans les années 1780, la France était le pays le plus riche d’Europe, mais la désorganisation de la dette publique, qui était la dette du Roi, l’obligeait à recourir à la privatisation accélérée des ressources publiques, dont la collecte de l’impôt, avec les dramatiques conséquences sociales qui menèrent à la Révolution.  

Le deuxième type de financement est le recours au crédit bancaire, formule nettement moins sollicitée en direct par les Etats, bien qu’indirectement les banques financent largement les Etats en achetant des obligations d’Etat. Le financement direct ou indirect des Etats par les banques n’est pas toujours une bonne chose,  ni pour les Etats, encouragés à emprunter trop (les banquiers manquent souvent de sagesse dans le financement des Etats, depuis au moins 700 ans), ni pour les banques, qui ont souvent du mal à se faire rembourser.

 Une forme de financement illusoire et parfois même dangereuse est la vente de concessions, d’actifs de l’Etat, de modernes privilèges, forts coûteux pour l’Etat et rentables pour certains partenaires privés.

1.3         La monnaie

L’apparition de la monnaie facilite les échanges et favorise la spécialisation. Elle renforce ainsi l’efficience du système : il devient possible d’échanger cette monnaie, qui peut être  un bien particulier (harpons, colliers, pierres à trou, or, argent, cigarettes en temps de guerre …) ou un signe conventionnel (pièce métallique frappée, papier imprimé) quelconque accepté par les participants au système, qu’on appellera la monnaie, contre les divers éléments à échanger et il suffit de savoir combien de signes monétaires sont nécessaires pour acheter la marchandise ou le service souhaités.

1.3.1                    Trois rôles de la monnaie

Pour être une monnaie, il faut réunir trois attributs essentiels :

4      Moyen de paiement : La monnaie est avant tout un moyen de paiement, accepté en principe par tous les agents économiques de la zone monétaire ;

4      Etalon de mesure : La monnaie, en tant qu’étalon de mesure (ou « unité de compte ») relative des choses, permet de : mesurer des coûts, mesurer des revenus, mesurer le pouvoir d’achat, tenir une comptabilité, évaluer un patrimoine, etc ;

4      Réservoir de valeur : La monnaie est également un réservoir de valeur et devient un actif en soi. A ce titre, elle doit avoir un certain nombre de caractéristiques : un coût de conservation peu élevé, une liquidité parfaite, une sécurité à l’égard des dettes exprimées en cette monnaie, une sécurité par rapport au pouvoir d’achat (qui peut être mise en danger, notamment en période d’inflation), pas de rentabilité en soi.

1.3.2                    La monnaie facilite et sécurise l’épargne

Elément important, la monnaie permet de différer dans le temps la satisfaction de certains besoins dont on peut prévoir l’apparition à un certain moment ou dont on préfère étaler l’assouvissement : cette postposition – ou épargne monétaire – est donc un facteur d’optimisation des satisfactions.

1.3.3                    Les monnaies dominantes – les monnaies parallèles

Il arrive que diverses monnaies soient utilisées dans un espace économique.  On parle alors de  monnaies parallèles.  Lorsque diverses monnaies sont utilisées au sein d’un espace économique, ou entre divers espaces économiques interconnectés, il est usuel qu’une monnaie soit dominante, et serve de « monnaie des monnaies », c’est-à-dire de pivot par rapport auquel les autres sont mesurées et échangées. Durant des millénaires les métaux précieux, surtout or et argent ont joué ce rôle, et progressivement depuis le Moyen-Âge, des pièces d’or et d’argent ont aussi été acceptées dans des échanges à longue distance, de même que les instruments de crédit qui se basaient sur elles. Au cours du 20ième siècle, la Livre Sterling et l’or avant la 2ème guerre, le dollar américain ensuite, ont joué ce rôle dans le commerce mondial et les marchés financiers.

1.3.4                    Le seigneuriage

Le fait de pouvoir émettre une monnaie représente la capacité à créer une valeur d’échange.

De tout temps, les institutions émettant la monnaie ont compris l’avantage économique que l’on peut en tirer.  Un kilo d’or vaut un kilo d’or, mais si un souverain ou  une institution peut au départ d’un kilo d’or fabriquer 1.000 pièces, contenant chacune 1 gramme d’or et deux grammes de plomb, et dont la valeur monétaire est de 3 grammes d’or, cette institution a en terme économique pu gagner l’équivalent de 2 kilos d’or. 

Au cours du Moyen-Âge, l’institution qui pouvait faire cela était généralement liée au Roi, au seigneur.  C’est la raison pour laquelle les économistes l’on appelée, dans diverses langues : le « Seigneuriage ».  Dès lors que le seigneur « noircit » ou « allège » exagérément sa monnaie (c’est-à-dire y ajoute trop de plomb ou autre métal vil), la confiance dans la valeur de cette monnaie diminue, les prix augmentent et l’inflation apparaît.  Dès que l’usage des monnaies s’est installé, on s’est aperçu que le problème n’est en fait pas tellement lié au contenu en or ou en argent de la monnaie, mais à la quantité de monnaie par rapport aux besoins de l’économie.  . Les problèmes de gestion optimale de masse monétaire et de l’impact de celle-ci sur la stabilité des prix sont donc très anciens.

L’utilisation de papier comme support monétaire est une étape logique vers l’abstraction monétaire.  Malgré son apparition très ancienne (probablement au 10ième siècle en Chine), la monnaie papier ne s’est imposée que difficilement, entre le 17ième et le 20ième siècle.  Elle s’est imposée sous forme de billet de banque, gérée par des banques (centrales ou pas), à une convergence entre l’évolution de la monnaie « allégée » et l’évolution des instruments de crédit  développés par les banques depuis le Moyen-Âge.  La rigueur de gestion fut une condition nécessaire du succès du billet de banque ; au départ les effets bancaires au porteur étaient émis en contrepartie de marchandise ou de stock monétaire.  Ce n’est que dans la mesure où les quantités émises restaient « raisonnables » que la confiance dans le papier monnaie a pu s’établir et se maintenir.

Ce seigneuriage est un avantage au sens économique du terme pour les pays qui en bénéficient, mais il importe qu’ils n’en abusent pas.  Le financement des besoins de l’Etat par l’émission de monnaie est une tentation aussi ancienne que l’apparition de la monnaie souveraine ; il est très rare que le recours au financement monétaire de l’Etat  ne débouche pas sur des excès, et la perte de confiance dans la monnaie.

1.4         Les taux d’intérêt

Depuis que la monnaie existe, elle sert entre autres à calculer la rémunération des délais de paiement et des prêts.  Diverses formes de participations aux bénéfices de l’emprunteur existent, mais la forme qui s’est imposée pour rémunérer le prêt d’un montant connu pour une durée connue, est le taux d’intérêt en principe fixé au départ.

Chez les Grecs et les Romains, les taux d’intérêt semblent avoir été exprimés au début en unités monétaires : une drachme par mine (de cent drachmes) par mois, une once par livre, etc.…  Notons que un centième par mois représente environ  12 % par an, et semble avoir été un maximum légal fréquemment appliqué.  Il semblerait qu’à la fin de l’Empire, le pourcentage était généralisé.

L’antiquité connaît donc l’intérêt, et distingue l’intérêt normal de l’usure.  La morale chrétienne a interdit très longtemps le prêt à intérêt, en s’appuyant sur une interprétation arbitraire de l’Evangile.  L’Islam aussi a été – et est toujours – hostile au prêt à intérêt, mais il est favorable depuis toujours  au profit marchand, à certaines conditions éthiques. Ceci a d’ailleurs contribué à la grandeur de l’Islam durant les nombreux siècles où il a dominé économiquement le monde ancien, et culturellement et politiquement de vastes territoires. Le cadre moral défini par l’Islam pour les activités des intermédiaires financiers est assez strict, et est devenu très élaboré depuis les années 1980. Il fait l’objet de règles spécifiques, la Finance Islamique, qui fait l’objet de nombreuses publications et recherches, mais que nous n’abordons pas dans ce livre. Le profit était aussi mal vu que le prêt à intérêt dans la morale chrétienne ancienne, jusqu’aux 13ième – 14ième siècles.  Depuis le 16ième siècle et surtout le 17ième siècle, et les succès économiques des pays protestants, le profit marchand et le prêt à intérêt se sont banalisés dans la chrétienté.  La notion d’usure a cependant toujours été présente, pour combattre les taux d’intérêt excessifs. Le métier d’intermédiaire financier a donc depuis toujours été fortement lié à des questions d’éthique. Les banquiers l’oublient régulièrement, fort malheureusement pour l’économie et leurs clients, et en définitive pour eux-mêmes.

1.5         Intervention des pouvoirs publics

Le degré d’intervention publique a connu des fluctuations dans le temps.  Ainsi, la crise financière des années 30 a provoqué une vague mondiale de régulations nationales, entraînant souvent la spécialisation obligatoire de certains types d’intermédiaires financiers.  La concurrence, considérée comme un des facteurs ayant déstabilisé le secteur dans les années 30, fut plutôt découragée ; des limites furent imposées dans différents pays aux taux que les banques pouvaient payer aux déposants (pour éviter les surenchères parfois meurtrières de la part de banques aux abois), et les accords tarifaires étaient encouragés par les pouvoirs publics. En gros, les pouvoirs publics encourageaient une organisation du secteur de sorte que même la banque la moins bien gérée d’un pays soit encore rentable, avec des règles protectionnistes qui limitaient aussi la concurrence internationale. Le secteur se caractérisa dès lors rapidement par des institutions de toutes tailles, et d’une grande diversité de qualité de gestion et de services, ainsi que par une grande rigidité.

Depuis les années 70, en raison de distorsions et d’inefficacités induites par ces règlements, il s’est manifesté une tendance inverse à l’assouplissement réglementaire, avec une  tendance à la déspécialisation des intermédiaires, et un encouragement à la concurrence, tout en maintenant en place des contrôles plus légers, appelés contrôles prudentiels,  surtout destinés à ce que les risques pris par les banques soient mesurés, et (en théorie) compensés par des capitaux propres suffisants  Pratiquées à des rythmes différents selon les pays et les tendances de leurs gouvernants, ces dérégulations se heurtent depuis les années 90 à des crises financières à répétition, et à la nécessité de réaliser diverses harmonisations internationales en même temps qu’une re-régulation pour limiter les chocs financiers et économiques causés par ces crises.

La libéralisation avait déjà été accompagnée non seulement de la mise en place (difficile) du contrôle prudentiel, mais aussi de mesures diverses visant à protéger les clients et les marchés d’éventuels abus (manipulation de marchés,information déficiente ou mensongère, etc). Il s’agit à l’avenir d’aller plus loin et de retrouver une stabilité des intermédiaires financiers que les mécanismes de marché laissés à eux-mêmes ne peuvent apporter.

Les transformations technologiques (et notamment l’importance croissante de l’évolutioninformatique), la déréglementation, l’introduction de l’Euro, la globalisation financière et les privatisations ont intensifié le potentiel de concurrence et amené de nouveaux services et des possibilités de gains d’efficience ; les fusions et les acquisitions ont été nombreuses, amenant une consolidation parfois nécessaire dans un secteur comptant des acteurs fragiles, et fonctionnant comme mécanisme de sélection naturelle. Cependant, cette consolidation a parfois aussi été trop importante  au point de réduire dangereusement la concurrence et d’amener des risques de complexité incontrôlable et de dominations abusives des marchés. Là aussi, de meilleurs équilibres doivent être trouvés…

 

Posted by Eric De Keuleneer at 3:40