L’Etat doit assumer le risque nucléaire au lieu de le subir

L’article ci-dessous a été publié ce matin. Pour élaborer un petit peu, je voudrais en préciser certains éléments.

  • Ma proposition est que l’état belge prenne le ( très petit) risque sur le financement des investissements de jouvence des vieilles centrales (Doel  1 et 2, Tihange 1). Ce financement devrait être très rentable, mais crée un risque sur les prix de vente auxquels le producteur pourra vendre cette électricité. Ce risque sur le prix est très limité, et devient quasiment  inexistant si l’état prévoit que cette électricité bénéficiera d’un accès privilégié au réseau à un prix fixe, comme cela  existe pour d’autres types de production. Les consommateurs auraient alors une part, assez limitée, de leur électricité à un prix fixe (très attrayant) pour les dix prochaines années.  Je me place dans la position prise par l’état belge, qui est de demander la prolongation de ces vieilles centrales, je ne me prononce pas sur le bien-fondé de cette position.
  •  Ceci permettrait alors à l’état  de  mieux connaître le coût réel de ces investissements de jouvence des vieilles centrales, et d’en contrôler les bénéfices plus que probables.
  • Ceci mettrait aussi l’état en position de mieux exiger le respect de la sécurité dans la gestion des centrales, et dans la gestion et le financement  de leur démantèlement, et des déchets. En effet, l’Etat Belge court des risque très importants sur le Nucléaire Belge: en cas d’accident nucléaire, les dégâts civils seront rapidement à charge de l’état, car la responsabilité d’Electrabel est limitée à 300 millions, le coût des dégâts pouvant être infiniment plus élevé. L’état n’est pas rémunéré pour ce risque. De plus, le risque est réel que les montants actuellement provisionnés pour le démantèlement des centrales et les déchets soient insuffisants, à concurrence de plusieurs millards, et ces provisions doivent être complétées par Electrabel dans le cadre de l’exploitation. Dans la négociation actuelle, il semble qu’Electrabel tente d’obtenir des dispenses quant au provisionnèrent nécessaire, profitant de la position de demandeur de l’état pour le prolongement de ces centrales.

Interview  par Christine Scharff

L’Echo – 01 décembre 2016

« L’état belge doit assumer le risque nucléaire au lieu de le subir »

Eric De Keuleneer, professeur d’économie à la Solvay Brussels School of Economics

Eric De Keuleneer a longtemps été l’empêcheur de tourner en rond du secteur énergétique belge, et d’Electrabel en particulier. Devenu administrateur indépendant et président du conseil d’administration de Lampiris, il s’était imposé un devoir de réserve. Mais il a quitté ces fonctions depuis le rachat du fournisseur d’énergie liégeois par Total. Il retrouve donc sa liberté de parole, et vient avec une proposition pour le moins provocatrice. « Il faut que l’état assume une part supplémentaire du risque nucléaire. » Explications.

Pourquoi cette proposition a priori étonnante?
L’état belge, aujourd’hui, subit le risque nucléaire. Il y a d’abord le risque financier, assez quantifiable et inévitable, lié au démantèlement des centrales et à la gestion du combustible usagé. Un certain nombre d’estimations montrent que les provisions constituées par les propriétaires des centrales pourraient être très insuffisantes.

« Que l’état assure le risque financier lié à la prolongation des centrales, et qu’il reprenne la main! »

Il y a ensuite le risque d’un accident nucléaire. Electrabel ne porte qu’un risque de 300 millions d’euros. Le gouvernement veut lui imposer de passer à 1,2 milliard, mais cela n’est toujours pas fait, et il n’est pas impossible que le gouvernement accepte de fournir lui-même cette assurance. On dit que ce risque est inassurable, mais on pourrait très bien l’assurer: le problème, c’est que cela coûterait de l’argent. Et de toute façon, au-delà de ce plafond, les risques de dégâts nucléaires sont supportés par l’état. On peut y voir des raisons: l’état supporte aussi le risque de faillite des banques. Mais au moins, il est désormais rémunéré pour cela. Cette part non rémunérée du risque nucléaire représente incontestablement une aide d’état.

Aujourd’hui, l’état belge, c’est-à-dire la population et le contribuable, subit ces risques considérables. Il serait important que l’état belge commence à les assumer, et à en prendre une plus grande part.

Comment?
L’état veut garder ouvertes les centrales qui devaient fermer en 2015, qui nécessitent un petit risque financier sur les investissements de jouvence. L’état s’est ainsi mis en situation de demandeur. Et Electrabel utilise cela pour obtenir divers avantages. Alors, que l’état assume lui-même ce risque, mais qu’il en tire aussi les bénéfices.

Aujourd’hui, on n’a pas de vue claire sur le coût de production du nucléaire belge, qui reste une des activités les plus rentables d’Engie. Même avec des prix du marché de l’ordre de 25 à 30 euros par MWh, c’est encore le cas, puisque le coût de production des centrales amorties tourne autour de 15 à 20 euros par MWh.

Le professeur de l’ULg Damien Ernst parlait mercredi de 30 euros par MWh sur les ondes de la RTBF…
Mais ça, ce sont les chiffres d’Electrabel, qui sont peut-être justes pour les centrales qui nécessitent des investissements de jouvence, mais pas pour l’ensemble du parc nucléaire! L’étude de la Creg sur 2007 estimait les coûts de production autour de 20 euros par MWh, bien plus bas que les chiffres avancés par Electrabel.

L’amortissement accéléré des centrales a été supporté par l’ensemble des consommateurs, particuliers et entreprises. Ils ont longtemps payé des tarifs parmi les plus élevés d’Europe, et n’ont jamais bénéficié des prix favorables qui avaient été promis pour plus tard. La Belgique a payé très cher pour ce parc nucléaire, et n’en a que les risques et les inconvénients. La taxe nucléaire est finalement le seul retour financier que la Belgique ait encaissé.

Proposez-vous que l’état devienne propriétaire des centrales nucléaires?
Non. L’état ne peut pas reprendre l’ensemble des risques alors qu’ils ne sont pas bien identifiés. Différentes formules financières sont envisageables. Ce qu’il faut, c’est exiger des provisions plus élevées pour le démantèlement des centrales et la gestion du combustible usagé, et la constitution d’un fonds de garantie pour le risque civil.

Ce sont là des coûts bien réels, qui représentent sans doute plusieurs milliards d’euros, mais qui peuvent à mon avis être largement couverts par la rentabilité des centrales.

Electrabel prétendra certainement que non. Mais il faut éviter que dans les 10 ans qui viennent, Electrabel continue à gagner beaucoup d’argent sur le nucléaire belge tout en faisant du chantage au black-out pour éviter de provisionner suffisamment. Parce qu’alors, dans 10 ans, tout ce coût, en plus de celui d’éventuels accidents, sera définitivement à charge de la collectivité.

L’état devrait beaucoup mieux connaître les données économiques du nucléaire. Les coûts réels de production devraient être communiqués et audités en profondeur, sans prise en charge de coûts artificiels.

Vous ne prônez donc pas une nationalisation ou une expropriation?
Non! S’il y a un gros problème technique, ou une forte baisse du prix de marché de l’électricité, qui rend le nucléaire belge non rentable, Engie laissera rapidement tomber Electrabel, et l’état belge sera bien obligé de nationaliser. Mais aujourd’hui, le problème n’est pas là. Il s’agit de veiller à ce que l’opérateur remplisse ses obligations.

Ce que je propose, c’est que si la prolongation de certaines centrales est nécessaire pour l’approvisionnement du pays, que l’état assure la totalité de ce risque qui n’en est pas vraiment un, et reprenne la main au lieu de se laisser en permanence menacer par Electrabel.

Vous ne vous inscrivez donc pas non plus dans le cadre de la possible ouverture du capital envisagée par Electrabel?
Non! Cela, c’est une autre manière pour le groupe de prendre l’état en otage, et de se débarrasser de ses engagements. Il ne faut surtout pas mêler à cela le marché boursier et les pauvres épargnants.

Donc, concrètement, comment voyez-vous l’état intervenir?
Actuellement, l’état subit les risques nucléaires et se fait spolier à cause du chantage permanent d’Electrabel sur le soi-disant manque de rentabilité. Que l’état assure le risque financier lié aux investissements nécessaires à la prolongation, un risque limité, qui porte essentiellement sur l’évolution des prix du marché.

L’état peut assurer ce financement, qui se monte à quelques centaines de millions d’euros, et en avoir également les bénéfices si les prix de marché montent. Il peut aussi transférer ce risque de financement au consommateur via un prix fixe, consommateur qui sera probablement très heureux qu’une partie de sa facture soit plus stable que dans le passé.

L’état sera alors en position d’exiger les milliards d’euros qui manquent dans les provisions nucléaires ainsi que la rémunération de la totalité du risque d’accident nucléaire. Car s’il est possible que la rentabilité des trois réacteurs que l’on prolonge est un peu juste au regard des exigences d’Electrabel – ce qui est encore à vérifier – celle des quatre autres réacteurs est très élevée.

On nous dit que nos centrales sont sûres. Mais nos banques aussi, on disait qu’elles étaient sans risque… Dans le nucléaire belge, on entre dans une phase de centrales âgées, dont on doit bien gérer la fin de vie. On ne peut pas se permettre que les mesures de sécurité ne soient pas prises, et que tout soit géré par une société privée dont le seul objectif est la maximisation des profits. En prenant ce petit risque financier supplémentaire, l’état se mettrait en meilleure position pour exiger que le risque de plusieurs milliards, voire de plusieurs dizaines de milliards d’euros, qu’il subit aujourd’hui soit couvert.

Si l’état supporte le risque financier de la prolongation, quid d’un incident comme à Tihange 1, où la centrale est à l’arrêt parce qu’on y a déversé trop de béton?
C’est un aspect technique, qui doit être assuré par un contractant. Cela peut être Electrabel, ou quelqu’un d’autre si Electrabel ne veut pas. Il faut une formule simple, qui donne à l’état un pouvoir normal que dans d’autres pays, il a d’office. Il reste en principe une petite dizaine d’années de production nucléaire rentable et raisonnablement sûre: c’est maintenant qu’il faut exiger que le provisionnement soit augmenté!

Cette proposition n’arrive-t-elle pas un peu tard, alors que la prolongation de Tihange 1 est réglée, et celle de Doel 1 et 2 est en passe de l’être?
En Belgique, on est en permanence trop tard avec le nucléaire. Mais mieux vaut tard que jamais.

Source: L’Echo

 

A stopgap position while banks drag their feet over living wills

Financial Times, April 26th 2016

Sir, John Pattison is right, living wills are necessary and should be simple enough to be workable (Letters, April 22). But indeed, many banks seem to be dragging their feet, and hope to gain time and keep “business as usual”, at least until the next crisis.

An alternative, which could also be easily imposed as a default position until banks come up with a satisfactory proposal for a living will, would be to require banks that enjoy a public guarantee on deposits to better protect those deposits, making a carve-out easier in case of failure.

Retail deposits, at least those enjoying a public guarantee, could easily be better protected from the problems originating from other activities, if adequate assets (loans, bonds, bills, deposits with other banks) were simply pledged in their favour; in fact, a kind of “covered deposit”. The deposit insurers and supervisors should monitor the quality of these assets, making sure that there would always be enough quality assets to carve the deposits and the assets that cover them out of a failing bank. Combined with efficient central counterparties to mitigate the contagion or systemic risk, this would indeed make the bankruptcy of banks much easier to manage without taxpayers’ money. The cover would be very easy to manage, just as it is for covered bonds.

Banks may object that this would jeopardise their market activities, covered bonds issuance and so on, but this would only illustrate that many banks have been financing speculative activities with guaranteed depositor’s money, or weakening the status of depositors by pledging the banks’ best assets as collateral, in effect turning depositors into subordinated creditors, and abusing deposit insurers and the taxpayers behind them.

Once again, this may or may not be a better solution altogether to simplify and improve banks’ regulation, but it concentrates on an essential objective, is easy to implement and could act as a catalyser for banks to come up with acceptable plans for living wills; unless they are happy with a well defined “covered deposit” mechanism, which many banks may very well be.

Prof Eric De Keuleneer

Solvay Brussels School of Economics,

Brussels, Belgium

« La croissance : réalités et perspectives »

Discours d’introduction – 21ème Congrès des Economistes – 26/11/2015

Sujet qui s’annonce par un mot simple, la croissance est certainement un sujet de débat. Elle est parfois présentée comme une réponse facile à des questions fondamentales de société : pour sortir de la crise, résoudre le problème de la dette, créer des emplois, la croissance est avancée comme une réponse un peu incantatoire, et pourtant, ce concept de croissance amène en réalité beaucoup de questions

Le Congrès des économistes 2015 aborde la croissance économique de façon très large, car l’origine de la croissance économique fait intervenir des phénomènes d’ordres divers ; il est bon que nous nous penchions sur l’apparition de la croissance économique, ainsi que sa finalité, et que nous essayions d’en examiner les ressorts à travers l’histoire et dans le cadre des objectifs de notre société contemporaine.

La croissance économique semble, à chaque période où elle est apparue, avoir été plutôt un phénomène spontané, mais certaines mesures influencent sans doute le niveau et le type de croissance économique. Les conséquences de ces mesures semblent cependant très différentes selon les contextes. Il est donc important d’analyser ces mesures, leur pertinence et leurs conséquences, tant à court qu’à long terme. En supposant que des décisions de politique économique puissent influencer la croissance, doivent-elles viser un niveau de croissance, et alors lequel? La fixation d’objectifs d’équilibre fiscaux ou monétaires stricts semble plutôt réduire la croissance, mais il faut aussi s’interroger sur les limites en matière d’endettement et de création monétaire. Des objectifs en matière de protection de l’environnement peuvent représenter une limite à la croissance, mais aussi être un vecteur de croissance à certaines conditions.

Une question se pose d’emblée et servira de fil rouge à de nombreux travaux de ce congrès, nous parlons de croissance, mais croissance de quoi? On peut conceptuellement distinguer croissance du bien- être et croissance du Produit National Brut, mais pour le faire en pratique il faut une définition et une mesure raisonnablement fiables du bien-être. Il est aussi important d’examiner la croissance de l’emploi, car il est des croissances qui génèrent plus ou moins d’emplois, et des emplois de « qualités » et de rémunérations très diverses. Ceci active les réflexions relatives à la compétitivité d’une économie, et à la compétitivité du travail contractuel au sein de cette économie, entre autres au regard du cout du travail contractuel et de sa fiscalité. En cascade, cette question pose aussi la question du mode de financement de la sécurité sociale, et la soutenabilité de ce financement. Ainsi que les questions relatives à la distribution des fruits de la croissance, et aux inégalités.

Et puis aussi on se demandera quel niveau et quel mode de croissance? On trouve à travers l’ensemble des décideurs politiques de nombreux partisans d’une croissance soutenable, plutôt que « n’importe quelle croissance « . Mais lorsqu’il s’agit de faire dans l’immédiat et en pratique les efforts nécessaires pour protéger l’environnement, réduire les inégalités, protéger les générations futures, le consensus est plus difficile.

Notre Société a bien du mal à définir ses objectifs, mais c’est pourtant bien nécessaire, car certains des objectifs qu’elle se fixe par défaut, ou sous la pression de groupes d’intérêts particuliers, peuvent lui être devenus nuisibles. Ainsi par exemple, une certaine vision des théories de marchés efficients recommande de réduire au strict minimum les frais de transaction et les coûts de transport pour permettre cette efficience censée être alors « naturelle » des marchés.

Les coûts de transport ont été réduits et subsidiés dans beaucoup de pays, dont la Belgique; cette politique présente un coût élevé pour les pouvoirs publics et pour la qualité de l’environnement, et, lorsque les subsides sont donnés aux véhicules individuels, cela devient souvent contre-productif en matière de mobilité, du fait d’un excès de camions et de voitures. Il faudrait en calculer et intégrer les externalités beaucoup plus qu’aujourd’hui, et s’interroger sur l’impact de ce type de politique sur l’aménagement du territoire, et la suburbanisation ou l’éclatement territorial que l’on connait bien chez nous. Les villes denses offrent une empreinte environnementale réduite, et semblent être les meilleurs creusets de créativité et d’innovation, ce qui plaide plutôt pour une re-urbanisation, et les politiques de transport qui l’encouragent.

Dans le secteur de la finance, la quasi-suppression des frais de transaction a accompagné une croissance considérable de l’activité financière, sans toujours de bénéfice pour l’économie en général, mais avec des inconvénients très évidents. Parmi ceux-ci, l’accroissement des risques, la constitution de positions dominantes et des rentes qui les accompagnent, ont permis l’apparition de rémunérations très élevées, souvent effets d’aubaine asymétriques. Le secteur est aussi très dépendant de subsides et protections en tout genre.

  • La constitution de rentes de situation n’est d’ailleurs pas limitée au secteur financier. Des secteurs de base comme l’énergie, les télécoms le ciment, la bière, …, sont caractérisés par de fortes concentrations des acteurs, au détriment de la concurrence, et au privilège de rentes de situation de quelques-uns. La protection de la propriété intellectuelle, chose en soi logique à divers points de vue, est parfois mise au service de véritables abus, dont l’appropriation privée de nombreux biens publics.
    Un assez large consensus existe pour considérer que l’innovation dans les secteurs non-financiers est très positive pour l’activité économique et la croissance du bien-être, et les pouvoirs publics peuvent fortement encourager cette innovation par un financement approprié de la recherche, en particulier au bénéfice de la création d’entreprises, les entreprises petites et jeunes semblant être les plus innovantes et créatives. La protection de la propriété intellectuelle doit à cet égard aussi trouver le bon niveau, qui encourage l’innovation et en garde le coût abordable.
    Au total, la croissance de productivité, pourtant nécessaire à la croissance économique, pourrait être fortement limitée par cette conjonction d’affectation de ressources et de subsides exagérés dans certains secteurs, et de consolidations de rente. Au détriment de ces principes de base de l’économie de marché, que sont la concurrence et la transparence, censées d’après Adam Smith permettre l’exercice d’une main invisible, mais qui trouvent parfois peu de défenseurs parmi ceux qui se revendiquent de cette économie de marché.

Eric De Keuleneer

De la Gouvernance des Institutions et du Respect des fonctions

Discours de rentrée du Président de l’ULB, prononcé le 18 septembre 2015

En ces temps de nouvelle gouvernance à l’ULB, et de transition vers une nouvelle gouvernance à l’Hôpital Erasme, il me semble utile d’évoquer ici quelques réflexions sur le concept même de gouvernance, et sur ses liens avec la Liberté. Je voudrais commencer par remercier tous les collègues qui ont participé à nos réflexions sur la gouvernance de l’Université et de l’hôpital ces dernières années, et particulièrement notre collègue Alain Eraly qui, avec une énergie, une ténacité et un talent considérables, a fait évoluer et concrétiser ces réflexions. La nouvelle gouvernance se met en place à l’Université depuis 18 mois, et les décisions relatives à la nouvelle gouvernance de l’Hôpital Erasme ont été proposées et acceptées en Juin-Juillet.

 La Gouvernance reste encore source de beaucoup de malentendus, et mérite en tout cas une place dans les débats de société en général, puisqu’elle concerne la définition des missions des Institutions, leurs règles de fonctionnement et leur évaluation. Elle doit évoluer régulièrement, car l’environnement, les circonstances évoluent ; 

Dans le secteur privé, où les grandes entreprises un peu partout posent des problèmes de gouvernance, certains considèrent qu’il suffit d’aligner  l’intérêt financier  des actionnaires et des dirigeants par des rémunérations incitatives massives. Cette approche est en train de corrompre les fondements mêmes du système. Lorsque Adam Smith, fin du 18ième siècle, a élaboré le système qui allait devenir l’économie de marché moderne, il pensait que l’intérêt du marchand ne pouvait être opposé à celui de son client ou de son partenaire, car son intérêt était de gagner leur confiance, tout en poursuivant l’ensemble des missions parfois diverses et subtiles qui motivaient son entreprise. En fait, les rémunérations abusives et asymétriques qui se généralisent depuis 30 ans dans certains secteurs encouragent la fraude et la tromperie au détriment des clients. Elles créent aussi  des inégalités grandissantes, souvent par enrichissement d’aubaine,  et détournent les acteurs du respect normal de leur fonction, en les transformant en des mercenaires chasseurs de primes. L’économie a besoin de réformes profondes de la gouvernance de beaucoup de grandes entreprises, car certaines pratiques de rémunérations conduisent à des comportements prédateurs qui peuvent être particulièrement nocifs dans des secteurs sensibles, comme le secteur pharmaceutique ou le secteur financier. Des amendes pour des montants de dizaines de milliards d’euros ont été imposées ces dernières années à des entreprises de ces deux secteurs pour comportement abusif, sans réelle modification de ces comportements.

Dans le secteur public également, certains pensent qu’un débat sur la  gouvernance n’est pas nécessaire,  parce que les acteurs  visent naturellement l’intérêt général, et que le contrôle par le suffrage universel sanctionne automatiquement les déviances quand elles apparaissent. C’est tout aussi illusoire. Et  il est dangereux de croire que l’assimilation à la logique privée de l’intérêt de l’actionnaire, ou la privatisation, sont de bons remèdes aux éventuels problèmes de gouvernance publique; le  secteur financier belge p.ex. a été dramatiquement fragilisé par les  privatisations des banques publiques dans les  années 1990.

La gouvernance publique  et la  Régulation, trop faibles,  ont aussi beaucoup de mal à corriger les aberrations de marché et abus de monopole, de plus en plus fréquents. La mauvaise gouvernance est au service des intérêts particuliers, du favoritisme et du copinage, elle a donc beaucoup d’amis. 

En fait, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, et dans le non-marchand, la bonne gouvernance des Institutions n’est pas immanente; elle ne découlera pas non plus, comme le prétendent certains codes de gouvernance laxistes,  d’un alignement d’intérêts particuliers et d’incitants massifs. La bonne gouvernance consiste à mettre en place les missions, les mécanismes et les règles qui donneront le pouvoir de gestion et de contrôle à des gens compétents qui n’abusent pas de leur pouvoir, bref, qui respecteront leur fonction.

La respect de la fonction amène le banquier à conseiller le client dans l’intérêt de celui-ci plutôt que selon les instructions commerciales de la banque, le médecin à résister aux pressions commerciales qui veulent en faire des vendeurs  de médicaments, pas toujours utiles, parfois nocifs. Ceci signifie une déontologie, des codes de comportement formels, qui aussi font partie de la bonne gouvernance. Et qui doivent permettre des actions en justice lorsqu’ils sont transgressés.

Le rôle des membres de conseil d’administration (ou d’autres collèges d’ailleurs) est essentiel et délicat ; ils doivent participer ouvertement aux débats menant à des  décisions d’intérêt collectif,- type de décisions ô combien précieuses, très différentes de compromis  entre des intérêts particuliers. Ceci  nécessite une indépendance et  un grand respect de sa fonction, pour que l’administrateur en tout temps refuse les instructions, qu’elles viennent d’un actionnaire réel ou supposé, ou de tout autre intérêt particulier ; et qu’il garde son libre-arbitre. Et puisse ainsi aider les Institutions à garder l’autonomie nécessaire au bon fonctionnement des Sociétés Ouvertes.

A l’origine des réflexions sur la notion d’Etat, on trouve la théorie des « Deux Corps du Roi », concept selon lequel le Roi a un corps Institutionnel, et un corps physique. Le corps Institutionnel, la fonction Royale,  ne meurt pas, et  est source de loi. Le corps physique est mortel et soumis aux lois, et doit respecter la fonction royale.

Ernst Kantorowicz, un des plus grands historiens du siècle dernier,  y voit l’origine d’un  grand schisme anglo-continental, soutenant que, si ce concept a été progressivement adopté en Angleterre dès le  moyen-âge, -adoption accélérée par l’avènement du Parlement-, le pouvoir royal en France l’a étouffé, insistant sur le pouvoir absolu du Roi, et les juristes français se sont soumis (déjà), entraînant une grande partie du Continent. Ceci explique peut-être la moindre robustesse des institutions en France, et dans des pays comme l’Espagne. L’Absolutisme, et la servilité, y  ont été beaucoup plus facilement acceptés, et l’indépendance des fonctions et des Institutions beaucoup moins. 

L’Angleterre a peut-être été influencée par l’exemple de Thomas Becket. Compagnon de débauche du Roi Henri II, devenu fin du 12ième siècle Archevêque d’Angleterre suite à l’insistance du Roi qui voulait un Archevêque obéissant, il défendit le respect de l’intégrité de cette fonction qu’il n’avait pas sollicitée (on le comprend), jusqu’à être assassiné, probablement sur ordre du Roi qui ne supportait pas son indépendance inattendue. Assassinat à l’origine d’un mythe fondateur dans la conscience collective anglaise, que le concept des « Deux Corps du Roi » et ensuite la Réforme et l’insistance des Protestants à assumer la responsabilité personnelle, ont probablement renforcé. Depuis longtemps, le concept de respect de la fonction a une signification forte en Angleterre.

Des Institutions bien gouvernées ont plus de chance de rester autonomes, et ceux qui y travaillent de rester libres. Au bout de la bonne gouvernance se trouve donc la liberté. Par liberté, je n’entends pas la possibilité de faire n’importe quoi, mais notre libre-examen, la possibilité d’exercer son libre arbitre dans un cadre documenté et contradictoire.   Paul Hymans, à qui le grand hall de ce bâtiment  vient d’être dédié, déclarait en 1938 : « la liberté est un stade supérieur de la vie sociale. On y  arrive par un long effort. Elle ne se donne pas. Il faut la conquérir. Pour la garder il faut la mériter ». En mars 1940, les 75 ans de Paul Hymans inspiraient à Jules Bordet les propos suivants «…  Sa carrière est un hymne à la liberté. Nul n’a souligné avec plus d’insistance la nécessité d’élever le niveau de la culture et de veiller à l’éducation morale,… . Il ne suffit pas, disait-il, de proclamer la liberté ; elle suppose une capacité et une organisation… .»

Nous devons préserver cette liberté qui est dans les gènes de notre institution. Nous la préserverons par la bonne gestion de l’Institution,  par une vigilance et une réaffirmation constantes. Les années 1990 avaient fait croire que partout la combinaison de la démocratie et de l’économie de marché assurerait l’avènement ou la consolidation de la liberté individuelle. Le début du 21ième siècle a connu la fin précoce de cet espoir qui était peut être une simple euphorie, cette idée de « Fin de l’Histoire » dont Fukuyama avait marqué les esprits, avant de se repentir, de façon brillante d’ailleurs.  L’économie de marché est créative et créatrice, mais elle n’est pas tenable dans son fonctionnement actuel ; mal régulée, dominée par des intérêts particuliers, elle  génère des inégalités, des pollutions et des soubresauts dont elle a de plus en plus de mal à se guérir, et, peut-être en corollaire ou en pitoyable antidote, l’obscurantisme revient en force menacer ce que beaucoup avaient cru être les acquis d’une civilisation humaniste, et demande une soumission  qui semble être pour  certains plus rassurante que la liberté ; ceux qui veulent restreindre la liberté et le libre-examen visent en fait toujours leur propre pouvoir, personnel et abusif . Le combat pour la liberté personnelle et l’autonomie des Institutions reste essentiel, et une bonne  gouvernance en fait partie.

Je nous souhaite à tous une année fructueuse au service du progrès et de la liberté.

Eric De Keuleneer  18 septembre 2015

 

We gaan de banken toch niet groter maken ?

HET GEVAARLIJKE PLAN VAN PROFESSOR PEERSMAN

ERIC DE KEULENEER

Wie? Professor aan de Solvay Brussels School of Economics (ULB)

Wat? We hebben nood aan een dynamischere kapitaalmarkt, met banken die zich minder baseren op computermodellen om kredieten te verlenen.

Europa moet zijn financieel systeem hervormen, schrijft ERIC DE KEULENEER, maar meer geld voor

de banken, zoals Gert Peersman voorstelt, is geen goed antwoord op onze financiële problemen.

In zijn column ‘Het probleem van Europa’

(De Standaard 18 maart)

stelt Gert Peersman voor dat de overheid als (nieuwe) aandeelhouder vers geld in de banken injecteert, om zo hun kapitaal te versterken. Op die manier stimuleert de overheid niet alleen de groei omdat banken dan makkelijker leningen toestaan, maar ze deelt ook nog eens in de winst als aandeelhouder. Dat klinkt te mooi om waar te zijn, en dat is het eigenlijk ook.

Op zich kan het voorstel de kredietschaarste in enkele perifere eurolanden verminderen, en daarom valt het nog te overwegen. Maar veel Europese landen kampen met een ander probleem, en Peersmans plan zal hun probleem niet oplossen. Het kan zelfs de Europese financiële ziekte verergeren.

Die ziekte heeft in Europa vooral te maken met de dominante rol die banken spelen in de zogenoemde financiële intermediatie, de manier waarop de economie gefinancierd wordt. Zoals Peersman al opmerkte gebeurt dat in Europa voor 80 procent via de banken, en in de VS slechts voor 25 procent. Daar komt nog eens bij dat door de stevige link tussen banken en overheden (in het Engels spreekt men over een deadly embrace, een dodelijke omhelzing) de problemen van de overheden de banken verzwakken, en omgekeerd. Dat kan tot een gevaarlijke neerwaartse spiraal leiden.

Geen risicoloos krediet

Het probleem van landen zoals België is niet een gebrek aan kredietcapaciteit op zich, maar wel de manier waarop kredieten toegekend worden. Die zogenoemde kredietselectie gebeurt nu veel te veel op basis van eigen modellen en via ratingagentschappen, die zich op modellen baseren. Het gevolg daarvan is dat veel kredietbeslissingen niet meer gebaseerd zijn op de ervaring, het gezond verstand en het professionalisme van een kredietverstrekker, maar geoutsourcet worden aan computermodellen, ondanks de talrijke problemen die deze modellen al op hun kerfstok hebben. Dat leidt tot een standaardisatie van de kredietnormen: uw profiel past in de modellen of niet, een tussenweg is er niet.

Ook de zekerheden worden gestandaardiseerd. Voor iedereen hetzelfde. Daardoor lopen we het risico dat goede kredieten geweigerd worden door banken met veel liquiditeit en gevaarlijke kredieten aanvaard worden, alleen op basis van hun rating.

Daarnaast is er een probleem met de activiteiten van banken op de kapitaalmarkt: in België en omringende landen zijn er veel banken die hun kapitaalbuffers grotendeels gebruiken om afgeleide producten aan de man te brengen. Veel van die activiteiten zijn nutteloos voor de klanten en soms zelfs ronduit gevaarlijk. Regelmatig komen gevallen boven water van klanten die daarover klagen. Als de overheid nog meer kapitaal zou inbrengen, zoals Peersman voorstelt, is het gevaar reëel dat het door de banken wordt gebruikt om nog meer activiteiten in afgeleide producten te ontwikkelen.

In de plaats daarvan moeten we het financiële landschap in België grondig hervormen.

Om te beginnen moet het systeem van gewogen risico’s afgeschaft worden. Alle kredieten houden nu eenmaal risico’s in. Als je gaat tolereren dat bepaalde categorieën van krediet als risicoloos bestempeld worden (zoals overheidsobligaties), en dat banken daarvan dus onbeperkte bedragen op hun balans mogen hebben, dan speel je met vuur. Banken aanmoedigen om modellen te gebruiken om deze ‘gewichten’ te gebruiken, is evenzeer gevaarlijk. Het is beter om een redelijk aandeel van eigen middelen op de bankbalans te eisen, en goede raden van bestuur en regulatoren te hebben die bekwaam zijn om de kredietactiviteiten van banken te beoordelen.

Verder is het nodig om het gebruik van klantendeposito’s voor risicovolle marktactiviteiten te beperken, waardoor meer middelen vrijkomen om kredieten te verschaffen.

Het Blauwe Fabriekje

Peersman merkt terecht op dat de grotere rol voor kapitaalmarkten bij financiële intermediatie in Angelsaksische landen een troef is. In Europa moet dat aandeel groter worden. Wij hebben geen banken nodig om overheidsobligaties te kopen. De fiscale discriminatie tegenover de kapitaalmarkt is pervers. Obligaties of beleggingsfondsen zouden onder hetzelfde fiscale regime moeten vallen als spaarboekjes. Kredieten herverpakken kan op zich handig en nuttig zijn, als men er geen misbruik van maakt. We moeten lessen trekken uit de misbruiken die tijdens de jaren 2002-2007 in de Verenigde Staten gebeurd zijn, en er opnieuw een normaal financieringsinstrument van maken. In de Verenigde Staten werd de markt grondig hervormd, en met resultaat.

Misschien moet ook gedacht worden aan een (staats) bank voor langetermijnfinanciering, die zich met haar kapitaal en met langetermijnobligaties zou financieren en zo op lange termijn kredieten kan uitgeven, mits een waarborg van banken. De financierings- en kredietrisico’s splitsen, kan het liquiditeitsprobleem oplossen voor projecten die meer dan tien of vijftien jaar kredieten nodig hebben. Het ‘Blauwe Fabriekje’ (de Nationale Maatschappij voor Krediet aan de Nijverheid) van vroeger werkte zo, en vrij goed: de banken kwamen om langetermijnkrediet aan te vragen, namen het kredietrisico, terwijl het ‘Blauwe Fabriekje’ de risico’s voor de langetermijnfinanciering op zich nam.

Vers kapitaal van de overheid kan door banken worden gebruikt om nog meer activiteiten in ­ potentieel gevaarlijke­ afgeleide producten te ontwikkelen

Evasion fiscale de GDF: les questions en suspens

XAVIER COUNASSE

Le Soir – Samedi 15 mars 2014

énergie Un mois après la révélation, retour sur l’affaire «GDF Suez»

GDF Suez est soupçonné d’avoir surfacturé son gaz à Electrabel.

L’enquête avance, et le montant du délit varierait entre 200 et 350 millions d’euros.

Il y a un mois, jour pour jour, la presse révélait que l’Inspection Spéciale des Impôts belge (ISI) enquêtait sur une potentielle évasion fiscale du groupe français GDF Suez.

Bref rappel des faits: le régulateur belge, la Creg, a rédigé un rapport «confidentiel» qui accuse clairement le géant énergétique français d’avoir surfacturé son gaz à sa filiale belge Electrabel au cours de l’année 2012. La Creg estime d’ailleurs le bénéfice réalisé par GDF Suez dans l’opération à 500 millions d’euros.

Le problème tourne en réalité autour des prix de transfert: GDF Suez, qui négocie ses contrats d’achat de gaz avec les Russes ou les Norvégiens, revendrait selon la Creg ce même gaz à Electrabel en prenant une marge qui avoisine les 20%. Electrabel revend ensuite ce gaz à prix coûtant (ou presque) à ECS, le fournisseur résidentiel de gaz et d’électricité. Et si l’on parle d’évasion fiscale, c’est simplement parce que les marges prises par GDF Suez échappent au bilan comptable d’ECS, dont dépendent pas mal de communes belges (elles se partagent 40% des dividendes de la société). Le manque à gagner est donc double pour la Belgique: 1/ les communes perdent des dividendes (elles n’en ont d’ailleurs pas touché en 2012), et 2/ il y a moins d’impôts qui rentrent dans les caisses de l’Etat belge (car ils partent directement en France).

Le mois dernier, beaucoup d’incertitudes planaient au-dessus de ce dossier. L’on y voit aujourd’hui un peu plus clair.

1Le rapport de la Creg est-il fiable? Si, lors de la révélation de cette affaire, certains remettaient en cause l’indépendance des auteurs du rapport de la Creg (qui ont aujourd’hui quitté le régulateur), force est de constater que la nouvelle Creg a repris le dossier en main et est allée le défendre devant l’Inspection des Impôts il y a quelques jours. Une source proche du gouvernement précise d’ailleurs «que la problématique dénoncée est bien réelle».

D’autres témoignages qui nous reviennent prétendent par contre que les 500 millions annoncés dans le rapport initial sont «dans le haut de la fourchette», et que de nouveaux calculs basés sur des hypothèses moins défavorables ramènent le montant du potentiel délit entre 200 et 350 millions d’euros.

2Les politiques ont-ils joué leur rôle dans cette affaire? Le rapport initial de la Creg date du 28 juin 2013 et a été envoyé à trois membres du gouvernement fédéral: Melchior Wathelet, secrétaire d’Etat à l’Energie, Johan Vande Lanotte, ministre des Consommateurs, et John Crombez, secrétaire d’Etat à la fraude fiscale.

En pleine période de vacances, il faudra quelques semaines pour que ce rapport soit traité, mais le 30 septembre, Johan Vande Lanotte envoie un courrier officiel à John Crombez pour lui demander d’«examiner les constats posés» dans ce fameux rapport. Aussitôt dit, aussitôt fait. L’ISI ouvre une enquête le 2 octobre. Et les ministres précités, tous informés de l’ouverture de cette enquête, laissent naturellement les inspecteurs faire leur travail.

«En moyenne, ce genre d’enquête dure environ 6 mois», apprend-on à bonne source. On peut donc attendre les conclusions du rapport dès avril.

3Electrabel n’était-elle vraiment au courant de rien? Deux choses sont vérifiées: 1/Electrabel n’a pas reçu en juin dernier le rapport de la Creg, et 2/ la société n’a pas non plus été tenue au courant de l’ouverture d’une enquête, l’ISI ne prévenant jamais les intéressés en pareille circonstance. En revanche, il nous revient qu’Electrabel a été appelée à se justifier à la Creg dès septembre, qu’il y a eu divers échanges de courrier et même une rencontre entre les deux parties. Une source interne à Electrabel confirme d’ailleurs être au courant de l’existence du rapport depuis longtemps, sans pour autant l’avoir reçu. Précisons encore que, suite à sa récente demande, Electrabel a aujourd’hui bien reçu le rapport qui les incrimine.

4Saura-t-on un jour le fin fond de l’histoire? Peut-être pas. Si la fraude est confirmée par l’inspection des impôts, elle devra en informer GDF Suez qui aura alors un mois pour réagir. Si l’énergéticien français accepte de payer ce qu’on lui réclame sans sourciller, rien ne garantit que le public en sera informé, secret professionnel oblige, à moins d’une nouvelle fuite dans la presse. En revanche, si GDF Suez conteste la décision en justice, le différend se réglera sur la place publique, ou du moins sur les bancs d’un tribunal.

XAVIER COUNASSE

 

l’expert «Du détournement de biens sociaux»

XAVIER COUNASSE

Samedi 15 mars 2014

entretien

Eric De Keuleneer, professeur à Solvay (ULB) et administrateur indépendant chez Lampiris, revient sur cette potentielle «évasion fiscale».

GDF Suez qui se sucre le dos de sa filiale belge, c’est possible?

Oui. Avant la fusion avec GDF Suez, Electrabel avait négocié d’avantageux contrats en gaz sur le long terme indexés sur le prix du charbon. Aujourd’hui, il semble qu’Electrabel achète son gaz à GDF Suez à des prix très élevés, qui ne semblent pas tenir compte de ces anciens contrats favorables. Et en matière d’électricité, il est également probable que l’avantage économique des centrales nucléaires belges soit transféré à GDF Suez.

N’est-ce pas normal qu’une maison mère tente de rapatrier les profits en son sein?

Il y a des législations sur les prix de transfert. Ce n’est pas normal de transférer aussi simplement son bénéfice d’une société à l’autre pour optimiser sa fiscalité. On appelle ça du détournement de biens sociaux.

Electrabel qui affiche des pertes de plus de 100 millions en 2012, ça vous surprend?

Beaucoup. Electrabel dispose d’un outil de production électrique dont les coûts sont très faibles. Ils ont d’ailleurs toujours prétendu que la production nucléaire était la moins chère qui soit. Et il a été prouvé que ces outils de production à faible coût leur rapportaient un bénéfice annuel d’au moins 1,5 milliard. De plus, les tarifs qu’Electrabel proposait à ses clients étaient très élevés jusqu’en 2012. En additionnant une production à bas coût et une clientèle captive très rentable, on peut s’étonner que la société affiche des pertes en 2012 et qu’ECS n’ait pas rémunéré les communes comme attendu. Je ne peux pas affirmer qu’il y a fraude, mais il a suspicion.

Peut-on prouver ces suspicions?

Les communes devraient demander des audits. Le régulateur belge doit également pouvoir obtenir des informations précises sur ces anciens contrats d’approvisionnement, surtout pour une société qui a bénéficié d’un transfert de clientèle de la part des communes, et qui a donc une mission de service public. Le fisc doit également se pencher sur la question.

En 2012, Electrabel indexait encore largement ses tarifs sur le prix du pétrole. Cela a-t-il été bénéfique pour la société?

Les tarifs proposés aux clients étaient indexés non seulement sur le prix du pétrole mais aussi sur un indice «coût des matières», deux facteurs qui ont très peu de rapport avec la réalité des coûts de production. Cette indexation a permis à Electrabel d’augmenter ses tarifs régulièrement, sans qu’il y ait de vraie justification. Et malgré une marge de plus en plus généreuse sur les tarifs, on constate que les bénéfices déclarés par Electrabel se réduisent depuis 2005. Je disais en 2010 qu’Electrabel maquillait ses bénéfices depuis des années. La polémique sur les prix de transfert de 2012 ne fait que renforcer ma thèse.

X.C.