Electrabel-GDF Suez fait de la résistance, puis cède au Ministre, mais veut sauver les apparences. Suite de mes notes électricité du 25/09/2009, du 13/05/2011 et du 27/10/2011

 

Le groupe Electrabel-GDF Suez a été obligé par le gouvernement belge de réduire les prix  qu’il impose à ses clients « inertes », clients qui lui ont été confiés (sans appel d’offre) par des intercommunales lors de la libéralisation. Cette réduction des prix imposée par le Ministre de l’économie, combinée à une éventuelle continuation de la perte de clients,  va réduire les bénéfices (encore considérables) réalisés par Electrabel en Belgique d’un montant approximatif probable de 500 à   600  millions d euros. Étant donné l’importance de la Belgique pour le groupe GDF Suez, la société a été obligée de faire un avertissement sur résultats, annonçant que leur attente de bénéfices globaux en 2013 baissait d un montant comparable de 600 à 700 millions. Ceci leur laisse encore des marges bénéficiaires très élevées en Belgique ; l électricité en Belgique ne représente plus  que 5% du chiffre d affaire du groupe GDF Suez, mais probablement 50% de ses bénéfices en 2012, et pas beaucoup moins en 2013. Pour ne pas donner l impression de céder au gouvernement belge, ni faire perdre la face à ceux qui les soutenaient dans leur lobbying, ils ont préféré communiquer dans l ordre inverse, annonçant d’abord la baisse de leurs résultats globaux, officiellement  en raison de la « faiblesse de la conjoncture européenne », pour ensuite annoncer une « guerre commerciale » de reconquête du marché en Belgique, en esquissant même des  « restructurations nécessaires ». Mâles propos qui n’ont pas trompé l’observateur attentif. Tout ceci apporte diverses confirmations ;1) la Belgique reste la vache à lait d’un groupe dont les activités sont ailleurs bien moins rentables ;2) la communication d’Electrabel par rapport à sa rentabilité en Belgique reste très peu fiable 3) le manque de fiabilité des chiffres communiqués par Electrabel justifie à posteriori la non-application par le gouvernement belge du protocole de 2009, basé sur des informations trompeuses quant à la rentabilité de ses activités électriques en Belgique.

Annexe, pour le lecteur qui veut plus de détails

Les annonces des dernières semaines relatives au groupe GDFSuez et leur filiale belge Electrabel sont d’un grand intérêt pour qui s’intéresse au secteur belge de l’électricité, et à la communication d’entreprise en général.

Pour rappel, la version officielle, ou version  X :

-          le 5-6 décembre 2012, GDFSuez fait un avertissement sur résultats. Ils expliquent que la conjoncture européenne reste mauvaise, et que leurs résultats en seront impactés ; ceci est curieux car la conjoncture ne s’est pas dégradée, mais ils revoient  à la baisse de 25% leurs prévisions de résultats nets pour 2013 et 2014. Avertissement retentissant sur résultat, le cours de bourse baisse de 15%.  Dans la foulée, ils annoncent des réductions de coûts, et des actions énergiques pour enrayer les pertes de parts de marché d’Electrabel en Belgique, certains journaux parlent d’une « reprise en main par Paris », avec allusion (ça se fait beaucoup) à un problème de rentabilité, et même de gestion en Belgique ( voir la presse du 7 décembre 2012).

-          Le 12 décembre, Electrabel annonce des fortes baisses de prix pour ses clients belges, car ils ont pu renégocier leurs contrats d’approvisionnement (contrairement à leurs affirmations précédentes, même récentes), et « veulent en faire profiter » leurs clients belges.

On peut bien sûr croire à cette version  X, venant d’Electrabel et GDFSuez, et relayée par divers média, avec un degré variable de fidélité. Mais on peut aussi se remémorer certains éléments, et  envisager une version Y. Quelques éléments ;

-          le gouvernement belge demande depuis un certain temps qu’Electrabel modifie  le mode d’indexation  des prix de l’électricité et du gaz pour ses clients anciens, les clients « inertes ». Electrabel pratique une indexation largement basée sur les prix du pétrole (et d’autres éléments peu liés à ses prix de revient), alors que tant le gaz que l’électricité ont des marchés spécifiques, sur lesquels les prix sont plus bas. De plus, pour l’électricité, Electrabel dispose de capacités de production belges (nucléaire, charbon,etc) à prix de revient particulièrement faible, et stable. Les clients anciens et fidèles d’Electrabel payent aussi plus cher que les tarifs que pratique Electrabel pour de nouveaux clients, ou pour des clients anciens qui demandent à changer,  ce qui donne une impression « désagréable » . Il est fort probable que cette politique de prix est dictée par GDFSuez à Paris, qui a des problèmes de rentabilité dans de nombreuses filiales, a fait des acquisitions trop chères dans le monde entier, et a des problèmes de gestion.  Mais Electrabel faisait encore en novembre 2012 d’intenses pressions pour réintroduire cette indexation fallacieuse auprès du gouvernement et de nombreux parlementaires belges. Ses coûts de production sont liés au pétrole, et incompressibles dit-elle alors.

-          Le 29-30 novembre, le gouvernement belge tranche. Le gel des prix sera terminé au  1er janvier, les indexations pétrole interdites, et Electrabel est prié d’annoncer pour le 1er janvier au plus tard une adaptation et une motivation des prix pratiqués pour ses clients « inertes » ; ceux qui n’ont jamais changé de fournisseur et payent  15 à 20 % de plus que les autres.

-          Electrabel-GDFSuez, ne peut que se plier à cette décision du gouvernement belge, mais souhaite toujours masquer l’importance des bénéfices d’Electrabel, par peur continue des réactions du gouvernement et des consommateurs belges. Ils annoncent des baisses de prix représentant en moyenne entre 100 et 200  euros par ménage selon leurs affirmations. Même dans le bas de la fourchette, pour plus de 3,2 millions de clients, cela représente plusieurs centaines de millions d’euros par an,et si on y ajoute les manques à gagner consécutifs à une éventuelle continuation de perte de clients, la réduction de bénéfices pourrait atteindre 50 à 600 millions ou près de 20 % des bénéfices du groupe GDF Suez. On comprend la nécessité d’un avertissement sur résultats de la part de celui-ci.

Commentaire complémentaire

-          On trouve ici probablement une confirmation du niveau réel des bénéfices d’Electrabel en production et fourniture d’électricité en Belgique. Pour ce qui concerne la Production,  on sait depuis 2010 que la rente nucléaire (les bénéfices anormaux réalisés par Electrabel sur les centrales nucléaires amorties), représentait au minimum 900 millions à 1,5 milliard en 2007 (études respectivement de la Banque Nationale de Belgique et de la CREG), les estimations se resserrant vers 1,3 milliard pour les années à partir de 2008. A cela il faut ajouter les montants qu’Electrabel gagne sur la production charbon et renouvelable, et sur les rémunérations qu’elle perçoit pour la mise à disposition du réseau de ses unités de réserve (qui ont pourtant aussi été entièrement payées par les consommateurs avant 2005).  En matière de Fourniture,  Electrabel octroie des réductions de prix  sur l’électricité (annoncées par Electrabel comme étant environ le quart  des réductions totales) d’un montant probable de l’ordre de 100 à 150  millions, mais la rentabilité  d’Electrabel jusque 2012 pour l’activité de fourniture d’électricité aux particuliers etPMEétait probablement beaucoup plus élevée, de près de 500 millions  d’euros annuels. Au total, on atteindrait ainsi d’une autre façon encore les 2,5 milliards que j’ai estimé dans les notes de 2009-2011. Ces dernières années Electrabel ne déclare pourtant qu’un bénéfice de 8 à 900 millions, et très peu d’impôts. A partir de 2012, ce bénéfice électrique belge, et sa part dans les bénéfices du groupe, vont donc quelque peu baisser (en 2012 à cause de l’arrêt de 2 centrales nucléaires, ensuite à cause des réductions de prix et pertes de clients), tout en restant considérables.

-          Le Gouvernement belge aurait intérêt à bien identifier ces vices de communication. Dans le différend qui l’oppose à GDF/Suez, relatif aux conditions financières de la prolongation des centrales nucléaires, le Gouvernement belge peut arguer que le protocole de 2009 (non appliqué) avait été conclu en fonction d’informations erronées, communiquées par GDF/Suez (qui prétendait encore en 2008-2009 qu’il n’y avait pas de rente  nucléaire).  Les résultats d’Electrabel ont été maquillés à la baisse (probablement via des prix de transfert et des facturations internes), probablement pour éviter l’impôt en Belgique, et pour cacher le niveau anormalement élevé des marges bénéficiaire et des prix pratiqués par Electrabel en abus de position dominante.  Ceci justifierait entre autres qu’à l’avenir, le coût de financement des énergies renouvelables soit beaucoup plus mis à charge des producteurs bénéficiant de rentes de situation que des consommateurs. Une plus grande transparence sur les prix de revient et la rentabilité des activités belges d’Electrabel est en tout cas indispensable.

-          En tout cas tout ceci démontre que les affirmations de GDF/Suez sont peu crédibles lorsqu’ils prétendent que le climat réglementaire et le niveau trop faible de leur rentabilité en Belgique pourrait les amener à quitter la Belgique et que aucun autre investisseur ne voudrait les remplacer. Ou que des problèmes de rentabilité en Belgique justifierait de restructurations.  La rentabilité des activités électriques de GDF/Suez en Belgique reste une des plus élevée au monde, en tout cas  nettement supérieure à celle qu’ils obtiennent dans les autres pays où ils opèrent.

Eric De Keuleneer19 décembre 2012

 

Ce texte est écrit en fonction d’analyses personnelles que j’effectue sur le secteur depuis une quinzaine d’années, avec pour objectif d’encourager la transparence et le respect des consommateurs dans le marché belge de l’électricité. Je suis depuis le début de cette année administrateur indépendant chez Lampiris.  Je crois nécessaire de le mentionner, même si je m’exprime ici à titre tout à personnel.

 

Posted by Eric De Keuleneer at 2:59