Electrabel a abusé de la confiance du consommateur

09:35 – 21 septembre 2012 par François-Xavier Lefèvre
Eric De Keuleneer: « Electrabel a abusé de la confiance du consommateur »
Eric De Keuleneer n’a pas sa langue en poche. Résultat, il donne volontiers son avis. Professeur à la Solvay Brussels School, ancien administrateur indépendant de Luminus et maintenant de Lampiris, il connaît le secteur de l’énergie sur le bout des doigts. Ses avis, et ses prises de position sur Electrabel sont souvent critiquées. Mais il est tenace. Il assume le qualificatif de franc-tireur.

« Je ne demanderais pas mieux qu’il y ait d’autres francs-tireurs mais peu de personnes semblent oser critiquer le système mis en place par Electrabel. Je constate cependant que différentes personnes me confortent dans mes analyses ».
Il s’exprime aujourd’hui à titre personnel sur les mesures étudiées par le gouvernement pour remettre un peu d’ordre dans le secteur. Son objectif? « Je tente de susciter des débats sur les points importants. Le secteur de l’énergie n’est pas un secteur comme un autre. Il est important de le rappeler. L’électricité n’est pas nécessairement un bien qui peut être géré sur base d’un mécanisme de marché. S’il y a des acteurs publics ou privés qui acceptent ou revendiquent des missions d’intérêt général, il faut qu’ils s’en montrent dignes ».
Les mesures annoncées par le gouvernement pour remettre de l’ordre dans les tarifs du gaz et de l’électricité vont-elles dans la bonne direction?
Express
Depuis le premier avril, les prix du gaz et de l’électricité sont gelés. L’objectif visé par le secrétaire d’État à l’Énergie est de remettre de l’ordre dans les tarifs et rééquilibrer le marché.
La mesure va être levée d’ici la mi-octobre pour les fournisseurs qui indexent déjà leurs tarifs sur les Bourses du gaz et de l’électricité.
Une taxe nucléaire de 550 millions d’euros est également en préparation pour capter la rente nucléaire.
Oui! La logique d’indexation sur le pétrole se basait sur le prix de revient réel mais elle a été dévoyée. C’est cette indexation dévoyée qui fait que les prix sont si élevés. Reste maintenant au gouvernement de concrétiser son intention. À lui aussi de capter la rente nucléaire sur de bonnes bases. Il ne faut pas oublier que les prix de l’électricité en Belgique intègrent la rente nucléaire mais aussi la rente de monopole d’Electrabel. Les prix sont trop élevés, surtout chez les fournisseurs par défaut comme Electrabel. Il est donc également important de capter cette rente.
D’autres initiatives sont-elles à prendre?
Il faut travailler sur les capacités de réserve. Il est anormal qu’une centrale comme la station de pompage de Coo destinée à équilibrer le réseau, reste entre les mains d’Electrabel. Elle doit être transférée à Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité. Cette centrale a été entièrement payée par les consommateurs et aujourd’hui Elia paye une prime importante à Electrabel pour sa disponibilité. Pour moi, cela s’appelle une rente de réserve, un peu à l’image de la rente nucléaire.
Du côté des fournisseurs, la pression semble au maximum?
Oui et je suis persuadé qu’il faut limiter aujourd’hui la capacité de certains fournisseurs qui pratiquent des prix différents entre un ancien et un nouveau client. Aujourd’hui, le client inerte chez Electrabel a le tarif le moins avantageux. Ce n’est effectivement pas normal.
Ne craignez-vous pas un phénomène de rattrapage chez les fournisseurs avec une hausse des prix après le gel des indexations?
Non, les prix sur le marché de gros ne sont pas en hausse. Sur base des prix actuels, une baisse est même possible. Mais, cela dit, le gel des prix rigidifie le marché. Le blocage a été utile pour sensibiliser le consommateur et empêcher des indexations abusives mais je pense que la fin du gel des tarifs sera bienvenue et va redynamiser la concurrence.
Vous semblez ne pas aimer Electrabel. Pourquoi?
J’aime beaucoup Electrabel. C’est une entreprise remarquable qui a permis un développement international du groupe Tractebel-Electrabel aujourd’hui appelé GDF Suez. Mais je suis très critique par rapport à sa politique de prix aujourd’hui en Belgique.
Il ne faut pas s’acharner sur Electrabel. Il faut simplement que des règles amènent Electrabel à respecter ses clients.
Eric De Keuleneer,
Professeur à la Solvay Brussels School
Le principal problème est qu’ils pratiquent des prix abusifs avec des marges bénéficiaires excessives. Electrabel a abusé de la confiance du consommateur et du gouvernement. Jusqu’en 2007, les prix étaient régulés en Belgique. Et bien, pendant toute cette période datant d’avant la libéralisation, ils ont maximisé leurs coûts pour réduire leurs prix de revient. Ils ont toujours déclaré que cela allait bénéficier aux consommateurs avec des prix stables. Mais dans la pratique, les bénéfices dégagés par l’amortissement accéléré de leurs centrales et des lignes de transport n’ont pas été répercutés aux consommateurs. Je reproche à Electrabel d’avoir abusé de sa position de monopole et d’avoir facturé au moins deux fois de nombreux équipements aux consommateurs. Le profit a ensuite été accaparé par Electrabel.
Je leur reproche finalement de ne pas avoir géré, depuis plus de vingt ans, le secteur de l’électricité dans l’intérêt général, alors qu’ils s’y étaient engagés par de nombreuses conventions.
Vous ne les aimez donc pas…
L’entreprise est performante mais sa communication est opaque. GDF Suez gère cette entreprise dans son propre intérêt souvent contre celui des consommateurs belges. Electrabel affirme payer très cher son gaz. C’est très curieux car Electrabel avait toujours eu par le passé de nombreux contrats à long terme d’approvisionnement bon marché, indexés sur le charbon. Le groupe semble réserver à la Belgique son gaz le plus cher, et ainsi justifier les prix élevés en Belgique. Il y a par ailleurs toujours un mystère par rapport aux bénéfices d’Electrabel. Ils essaient de dissimuler la rente nucléaire. Les études de la Creg, et même celle de la Banque Nationale, ont pourtant démontré que la rente était plus élevée que les bénéfices déclarés d’Electrabel.
Est-il toujours l’opérateur dominant?
Moins… Le blocage des prix a eu un impact psychologique et a permis au marché de se réveiller.
Le gouvernement doit-il donc continuer à s’acharner sur cette entreprise?
Il ne faut pas s’acharner sur Electrabel. Il faut simplement que des règles amènent Electrabel à respecter ses engagements et ses clients. Le politique doit amener Electrabel à appliquer des tarifs raisonnables. Ce n’est pas de l’acharnement. C’est une entreprise très rentable qui fait d’énormes marges bénéficiaires au détriment des consommateurs. Nous avons en Belgique les prix de l’électricité les plus élevés d’Europe alors qu’ils devraient être les plus faibles. L’outil de production, qui est principalement propriété d’Electrabel, est parmi le moins cher d’Europe. C’est incompréhensible que les prix soient si élevés en Belgique alors que nous disposons d’un parc de production bon marché. Nous payons des prix comme l’Allemagne qui a beaucoup moins de nucléaire amorti et un programme gigantesque de renouvelable.
Outre sur la partie énergie, des économies sont-elles réalisables sur le transport et la distribution?
Le prix du transport est raisonnable mais par contre dans la distribution, il y a des anomalies de la part des intercommunales. Cette partie de la facture représente 40% du prix final. Les niveaux de rémunération exigés par les communes, qui sont actionnaires des intercommunales de distribution, vont parfois jusqu’à 15% sur fonds propre. Les pires capitalistes veulent du 15%. Pour une activité régulée comme la distribution où il y a que très peu de risques, la rémunération des capitaux devrait être au maximum entre 6 et 8%. Elle est même plus basse dans de nombreux pays.
Le problème est politique…
On fait comme si la rentabilité exagérée des intercommunales est un droit des actionnaires, à savoir les communes et Electrabel. Résultat, il y a des tarifs excessifs et les communes estiment que c’est légitime. C’est un problème politique et de bon sens. Si on veut taxer les citoyens, qu’on appelle une taxe: « une taxe », sans la privatiser.
Les intercommunales estiment cependant que les investissements sont importants et vont de plus en plus l’être compte tenu du développement de la production décentralisée…
Il faut certainement en tenir compte mais il ne faut pas affirmer que les tarifs doivent être trop élevés pour investir. Le politique doit bouger car la situation actuelle coûte cher aux consommateurs. À l’inverse, elle profite à de nombreux responsables communaux.
Une fusion des intercommunales aurait-elle du sens?
Je ne suis pas un grand partisan des économies d’échelle et il faut une bonne justification pour accentuer la taille. Une fusion n’est pas forcément un gage d’efficacité, et le fait d’avoir divers opérateurs pourrait permettre de comparer les coûts de fonctionnement. Mais en pratique la gestion est de plus en plus centralisée, les comparaisons de coûts sont absentes, alors on ne voit pas les raisons économiques contre les fusions.
L’Echo

Posted by Eric De Keuleneer at 9:35