Responsabilité Sociétale des Entreprises : un concept à préserver de la manipulation

Le concept est ancien, il consiste à rappeler que les entreprises ont d’autres responsabilités que le seul profit immédiat. De nombreuses initiatives sont prises par des entreprises et des  associations pour le promouvoir, mais il convient de veiller à ce que ces démarches apportent véritablement quelque chose, et ne soient pas une simple démarche cosmétique ou pire encore un écran de fumée destiné à combattre les législations et régulations nécessaires dans de nombreux secteurs pour réduire les risques causés par certaines activités. Il n’y a pas que les activités financières qui sont dangereuses ou polluantes. Il faut donc bien veiller à ce que la RSE ne soit pas un autre moyen de faire beaucoup d’argent, mais une autre manière de gérer les entreprises, dans laquelle le profit n’est plus l’étalon de tout comportement, dans laquelle les principes moraux ne sont pas balayés au nom d’un principe de nécessité de profit érigé en devoir suprême de l’homo economicus.

En quoi consistent les démarches de RSE ?  On peut les classer dans quelques catégories :

- Les dons pour de bonnes causes. Bien sympathique et souvent utile, mais généralement marginal, peu en rapport avec les activités de l’entreprise, et octroyés selon  des critères assez flous.

- La gestion des risques.  Une démarche intégrée et prospective de gestion des risques peut intégrer divers  aspects de responsabilité sociale, lorsque l’entreprise cherche à identifier les activités qui pourraient la mettre en risque vis-à-vis de ses partenaires au sens large, en perturbant ses relations de travail, en antagonisant certains clients, en prenant des risques environnementaux, etc. …   C’est là plutôt de la bonne gestion traditionnelle.

- La valeur ajoutée sociétale et la mesure de cette valeur ajoutée.  C’est là l’aspect le plus complet et le plus ambitieux de la RSE, qui consiste à aller dans toutes ces matières plus loin que la gestion du risque immédiat, c’est-à-dire jusqu’à une mesure de l’impact durable : la valeur ajoutée vis-à-vis des clients, travailleurs, fournisseurs, impact environnemental, innovations bénéfiques à la Société,… .  La logique est de permettre aux conseils d’administration et aux actionnaires de mesurer ce que l’on appelle la valeur ajoutée, ou la création de valeur ajoutée sociale, ou au minimum le potentiel de profit « durable »à long terme, qui est sinon une notion très théorique.

Notons que les démarches à caractère écologique peuvent être positives en soi, sans entrer nécessairement dans la RSE : une éolienne sur une usine polluante ne la rend pas plus propre, et on peut vendre des produits bio, renouvelables, isolants, … , sans être pour autant socialement responsable. Ce type d’investissements répond à une autre logique que la RSE, tout en pouvant y être intégré.

La demande en matière d’évaluation de la Responsabilité Sociale des Entreprises est importante aujourd’hui.  L’opinion publique, un nombre croissant d’investisseurs professionnels dont les fonds de pension, les pouvoirs publics, y attachent une importance croissante.  Encore faudrait-il pouvoir mesurer le niveau réel de RSE atteint par les entreprises.

Des cadres de référence se mettent en place, qui permettent d’espérer une standardisation dans ce domaine.  Un cadre avec des normes claires, et un contrôle des informations fournies, sont indispensables pour permettre des progrès réels.  De plus, il est impérieux que les entreprises appliquent ces mesures de RSE de façon exhaustive, à l’ensemble de leurs activités et pas seulement un aspect périphérique (les émissions de CO² par les banques par exemple).

L’Investissement Socialement Responsable (ISR)

Dans le domaine de la Gestion de Fonds d’Investissement, un secteur de l’Investissement Socialement Responsable existe et se développe depuis des décennies, répondant aux à diverses logiques décrites ci-dessus.

Un examen des fonds d’investissement spécialisés « ISR » indique que les titres les plus répandus dans ces fonds sont des actions d’entreprises parfois peu convaincantes quant à leur responsabilité sociale, avec une grande représentation des secteurs tels que les technologies, la pharmacie, les banques, secteurs dont les entreprises ne produisent pas de produits interdits ou de pollution visible, sont rarement obligés de procéder  à des licenciements massifs, et font peut-être beaucoup de communication sur leur « Responsabilité Sociale » mais pour autant, ne donnent pas toujours une impression de grande Responsabilité Sociale réelle, que ce soit les conditions de base de respect de la concurrence et la transparence de l’information, ou une politique raisonnable de rémunération et de bonus, ou encore  les considérations plus générales de souci de l’ensemble des partie prenantes, de l’environnement, d’un marketing responsable et respectueux de l’intérêt des clients,  etc…

En conclusion, les indicateurs RSE devraient un jour être fiables, mais en attendant…

Les indicateurs de RSE devraient en fait permettre d’évaluer de façon fiable et normée que les entreprises respectent au moins les conditions de base de la légitimité du profit,  ainsi que d’évaluer dans quelle mesure elles vont plus loin en matière de RSE.  Beaucoup de progrès reste à faire à cet égard.

Comme première étape, on pourrait définir un concept d’Investisseurs Socialement Responsables.  Il s’agirait d’investisseurs qui adoptent (et font contrôler) un mode de comportement professionnel leur permettant de s’inscrire dans cette catégorie, dès lors qu’ils respectent un certain nombre de critères, dont la sélection des titres, mais aussi un rôle d’actionnaire actif visant à bien connaître les entreprises, à influencer leur comportement vers une réelle Responsabilité Sociétale, et à maintenir leurs rémunérations dans des normes raisonnables,… .

Avec l’apparition de nouveaux acteurs spécialisés et les progrès dans la rigueur du reporting, la RSE et l’ISR pourraient devenir un jour des compléments très utiles d’une bonne régulation des marchés et des entreprises.

Références

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The endangered public company

Public companies can be poorly managed, but  the  main problem with them is centuries old, and centres on the difficulty to get them managed in function of a properly defined “ self interest”. Indeed, in classical economics, all economic agents seek their self-interest, and well functioning market mechanisms transform a myriad of self-interested decisions into the Common Good. Adam Smith insisted that, if there is enough competition and transparency, this happens in a pretty automatic way because people in business tend to seek their profit with a concern for the quality of their products and the satisfaction of their clients- in fact a form of sympathy that brings long term profits-, and with ethics, because it pays to be honest: those who are not, loose their reputations and their clients, and are quickly out of business.

Do Corporations fit in this respect? Complicated. Entrepreneurial companies owned by their managers mostly do, and many family companies also; but Large Public Limited Companies (LPLCs), with a widespread shareholding, are a problem. Very often they are managed not in function of their self-interest, but rather in function of the self-interest of their loosely supervised top managers, and as you mention, the way this “Agency problem” is supposed to have been solved, has become part of the problem. With stock options and bonuses, most LPLCs now concentrate on a simple objective: the single-minded financial objective, usually quarterly or annual profit, which will maximize the remunerations of top management. Hence, many of them do not include in their self-interest the real quality of their products and the real satisfaction of their clients, loyalty to their employees,  or an ethical concern, because they think it costs too much in the short term, and anyway they can rely on massive communication (advertising, PR, or plain propaganda) to create an impression of quality-concern and ethics.

Of course some LPLCs are different, and Steve Jobs was pursuing the real long term interest of Apple, and thus its clients and its reputation, and so do may many other CEO’s, but still, plenty of LPLCs behave in a way that does not fit classical economy, and does not increase the Common Good. The rather “enlightened” self-interest has then been replaced by short term profit maximization, often trough market dominance rather than efficiency, just like Adam Smith warned about the LPLCs of his time, the colonial Companies

Some corporations now claim to be concerned about their “Social Responsibility”; this could become a way to give them a richer notion of “Self Interest”,  but today unfortunately remains often little more than additional propaganda, and will remain so until public companies can be made to  adopt objectives that are more consistent with the classical view where the profit motive is pursued with respect for clients, sustainability, transparency and competition, and their top managers are motivated accordingly.

Eric De Keuleneer

Professor

Solvay Brussels School of Economics

Université Libre de Bruxelles

Brussels, Belgium

Protéger les dépôts de la spéculation

Les pays anglo-saxons ont attaqué de front le problème des risques excessifs que font courir aux déposants les grandes banques « universelles » c’est-à-dire les banques qui combinent l’activité de banques commerciale (dépôts et crédits) et l’activité d’Investment Bank (prise de risques de spéculation et de marché). Au Canada et en Australie, les banques sont étroitement régulées depuis des années; les Etats-Unis sont en train de mettre en place la « Volcker Rule » qui interdira aux banques les activités de spéculation pour compte propre; l’Angleterre, qui a connu avec ses grandes banques des problèmes similaires aux nôtres, a décidé après longue réflexion d’imposer séparation entre les activités de banque commerciale et d’Investment Bank. Une banque anglaise devra soit arrêter la prise de risques de marché, soit organiser son activité de banque commerciale en filiale séparée qui devra être « clôturée » (« ringfenced »), isolée de l’Investment Bank et ne pourra lui prêter qu’un montant limité. Un peu comme si, au sein de Dexia, Dexia Banque Belgique avait eu interdiction expresse de prêter plus de quelques milliards à Dexia SA et Dexia France (l’entité la plus spéculative du groupe), au lieu des 50 à 60 milliards d’euros qu’elle avait effectivement prêtés, au mépris d’ailleurs des principes de bonne gestion.

Les grandes banques universelles du continent européen combattent les propositions de généralisation de ces règles anglaises à toute l’Union européenne, sous divers prétextes:

Cela réduirait leur taille, et la taille serait essentielle en matière bancaire. Curieux, car les études démontrent que la taille est plutôt défavorable à l’efficience et très défavorable au contrôle des risques. La recherche de la taille par les grandes banques européennes a surtout été un prétexte à des fusions et acquisitions exagérées, qui ont réduit la concurrence et accru le risque des banques, sans apporter de gains d’efficience.

Elles devraient se séparer de leurs activités les plus rentables, et donc compenser en augmentant les tarifs pour les clients de l’activité de banque commerciale. Rien n’indique cette rentabilité supérieure, surtout sur le long terme; de nombreuses banques commerciales de toute taille en Europe et dans le monde démontrent que leur activité traditionnelle, bien gérée, est tout à fait rentable.

Elles ne pourraient plus offrir à leurs clients les précieux services de leurs activités de marché. En réalité, beaucoup de ces services sont des produits compliqués et dangereux, que les salles de marché vendent avec insistance à des clients confiants (tant investisseurs qu’emprunteurs d’ailleurs). Une banque commerciale peut, au contraire, donner de vrais conseils à ses clients en ces matières, et acquérir ou assembler les produits adéquats, aux meilleures conditions de marché.

L’intérêt de l’économie belge et de ses banques

Il serait donc très utile pour la Belgique de s’engager dans une réflexion sur ces matières, dans l’intérêt de l’économie belge, mais aussi dans l’intérêt des banques elles-mêmes. Les Etats-Unis sont parvenus à assainir leur secteur bancaire plus rapidement que l’Europe, entre autres grâce à la présence de milliers de banques commerciales de taille souvent petite et moyenne, et malgré les dégâts causés (dans le monde entier) par leurs grandes banques universelles et Investment Banks. En attendant, une formule de protection des déposants et de l’État doit être trouvée.

Protéger les déposants et l’état

Des dépôts couverts; les déposants doivent-ils rester moins bien protégés que les autres créanciers des banques?

Les grandes banques universelles européennes ont donc largement utilisé leurs dépôts d’épargne pour financer leurs activités spéculatives. Celles-ci sont très consommatrices de liquidités et de nombreuses banques utilisent maintenant leurs meilleurs actifs (qui sont souvent les crédits et autres actifs financés avec leurs dépôts) pour constituer des gages (du « collatéral », en franglais financier) auprès de qui voudra bien leur faire crédit: les contreparties des dérivés et interbancaires d’une part, mais aussi les acheteurs d’obligations dites « couvertes », qui reçoivent en gage les meilleurs actifs du bilan des banques. Ceci a l’air innocent, mais en réalité relègue les déposants au rang de prêteur de second rang, subordonné. Si la banque fait faillite, les meilleurs actifs serviront d’abord à dédommager les créanciers « couverts »; les déposants, non « couverts » n’auront plus grand-chose. Dans la mesure où les dépôts de particuliers sont garantis par l’État, le risque principal est en Belgique supporté par l’État, c’est-à-dire les contribuables et donc en fait quand même les citoyens.

Tant que des mesures de séparation de l’Investment banking à l’anglaise ne sont pas appliquées en Belgique, l’État serait peut-être bien inspiré de prévoir une pratique simple de couverture des dépôts bancaires, inspirée d’ailleurs des « obligations couvertes » émises par les banques: puisqu’on fait bénéficier les obligataires, (et les contreparties de transactions sur dérivés, les banques centrales, etc.) d’une « couverture », pourquoi pas les déposants particuliers?

Un mécanisme simple

Un mécanisme simple prévoirait qu’une banque établie en Belgique et qui y collecte des dépôts aurait obligation de donner en nantissement, en couverture, de ces dépôts les crédits et autres actifs qu’ils financent. Si l’État belge continue de garantir ces dépôts, il bénéficiera de ce nantissement, qui réduira son risque à un niveau raisonnable. L’État pourra aussi refuser certains actifs inadéquats, et moduler la prime qu’il perçoit sur les garanties qu’il octroie, en fonction de la qualité des actifs reçus en couverture, selon les évaluations que font les régulateurs pour juger de la qualité d’un portefeuille de crédits. Ceux-ci doivent pouvoir faire sans problème ce genre d’évaluation pour des portefeuilles normaux de crédits normaux à des particuliers, des entreprises, des pouvoirs publics,… ( en se passant des ratings frelatés émis par les agences de notation d’ailleurs). Les banques qui plaideront qu’elles n’ont plus d’actifs à donner en nantissement démontreraient à quel point la situation actuelle est anormale, et à quel point il est urgent d’éviter d’en faire courir le risque aux déposants.

Ce mécanisme simple aurait évité ou fortement réduit les coûts et risques supportés par l’État belge pour soutenir les grandes banques, et d’une affaire comme Kaupthing. Il serait aussi un premier pas très utile vers une meilleure limitation des activités spéculatives des banques commerciales. Il serait très facile à mettre en place, en utilisant les pratiques et le cadre légal des « covered bonds », ces obligations couvertes que certains voudraient encourager. « Couvrons » d’abord les dépôts.

Professeur, Solvay Brussels School of Economics- ULB (dekeuleneer.com)

Une grande banque, dite « universelle », porte deux casquettes. Elle est gérante de dépôts et de crédits, d’une part, et elle pratique des investissements spéculatifs, d’autre part. Ces deux activités, combinées au sein de la même institution, avec le même argent, présentent des risques tels que – dans l’intérêt des déposants, autant que dans celui de l’économie en général – leur séparation s’impose, et ce afin que la banque d’affaires ne détruise pas, en fin de compte, la banque commerciale. Mais comment organiser cette distinction, alors que les grandes banques résistent au changement? Eric de Keuleneer propose un mécanisme simple…

Et si on misait plutôt sur les citoyens pour sauver l’euro ?

La situation économique en zone euro est globalement médiocre mais pas vraiment mauvaise. Les comptes courants et la balance commerciale sont en équilibre, et les déficits budgétaires et dettes publiques ne sont sûrement pas plus élevés que dans d’autres pays développés. La crise de la zone euro vient largement de déséquilibres internes et de bulles euphoriques sur les emprunts d’Etat en euros jusqu’au début 2010, et de leur dégonflement depuis lors, ainsi que du fait que dans la zone euro, la banque centrale n’a pas la possibilité de créer de la monnaie de façon illimitée pour financer les Etats ; ce qui est bon pour les principes d’orthodoxie monétaire, mais n’aide pas la crédibilité financière des pays membres perçus les plus endettés, ce qui est utilisé comme prétexte dans les jeux politiques des agences de Rating.

Ces agences ont depuis dix ans montré beaucoup d’incompétence, ont encouragé le surendettement des Etats jusqu’en 2010 et entretiennent les inquiétudes aujourd’hui par leurs dégradations plus opportunistes que fondées, car souvent basées sur l’évolution des marchés dont les agences sont devenues les caisses de résonance plus que les guides. Malheureusement, les régulateurs et banques centrales européens leur donnent toujours un rôle, trop important, dans la définition du risque souverain.

Les Etats européens se financent depuis 10 à 15 ans de façon croissante via les marchés internationaux ; ce financement est devenu trop important et entretient une dépendance dangereuse vis-à-vis de ces marchés et des agences de rating.

Résoudre cette crise en allant mendier aux quatre coins du monde, de la Chine au Brésil, est vain, dangereux et inutile. Un remède administré par la Banque centrale européenne sous forme d’une promesse illimitée de rachat de la dette publique en euros pourrait à court terme réduire les poussées d’inquiétude des marchés, sans résoudre le problème de fond. Pour le moment, la BCE et divers pays européens y sont hostiles.

Fondamentalement, le moyen existe de résoudre cette crise par le haut, et il est très simple : c’est que les Etats européens, en plus de corriger pour certains leurs problèmes de compétitivité, retrouvent l’habitude de financer leur dette auprès de leurs citoyens, qui dans la plupart des pays en ont très largement les moyens.

La dette publique belge est de l’ordre de 350 milliards d’euros, et le seul patrimoine mobilier des Belges est estimé à 900 milliards d’Euros. L’Etat Belge doit émettre en 2012 environ 35 milliards d’obligations, dont moins de 10 milliards de dette nouvelle, et l’épargne brute en Belgique dépassera probablement 60 à 70 milliards d’euros en 2012. Les situations de l’Italie, de la France…, ne sont pas très différentes.

Certains semblent craindre que si les épargnants belges investissent une part plus importante de leur épargne en bons d’Etat, cela privera les banques belges de dépôts et que celles-ci ne pourront plus financer l’économie belge. C’est doublement erroné : l’épargne belge est largement excédentaire, et nos banques, ayant souvent trop de dépôts, ont prêté et prêtent d’énormes montants à l’étranger. L’épargne qui transite par des sicavs et autres « produits structurés » proposés aux épargnants belges file aussi très souvent vers l’étranger. Il y a de plus trop d’emprunts d’Etat dans les bilans des banques, et ces bilans sont inutilement et dangereusement élevés. L’économie belge ne souffrirait certainement pas d’une réduction de la concentration d’épargne dans les banques, leurs sicavs, et les fausses assurances-vie (bons d’assurance) ; elle a au contraire tout à y gagner.

Il faudrait que les Etats belges, italien, français, etc., s’inspirent de l’exemple des bons d’Etat belges de début décembre, et refinancent régulièrement une partie substantielle de leur dette auprès de leurs citoyens. Il faut pour cela bien sûr que les conditions fiscales faites à ces emprunts d’Etat soient normales et stables. Aujourd’hui, les obligations émises par l’Etat et les entreprises sont les instruments d’épargne les plus taxés, et la dernière réforme accroît encore ce désavantage anormal. Taxer emprunts d’Etat et d’entreprises au même niveau que d’autres formes d’épargne mettrait fin – sans réduire les recettes fiscales – au masochisme fiscal actuel, dans lequel les instruments de financement les plus utiles à l’économie belge (actions et obligations) sont aussi les plus taxés, ce qui fait que l’argent ne s’y dirige pas volontiers. Il faut aussi mettre en place des circuits de distribution de titres efficaces, et que les formules offertes soient simples et attrayantes, par exemple en offrant une bonne liquidité aux épargnants. Des informations claires et une simplicité de la fiscalité au niveau européen seraient aussi bienvenus.

Les particuliers ne s’affolent pas, ils l’ont encore montré en souscrivant massivement aux bons d’Etat après la dégradation de la Belgique par Standard & Poor’s. Des informations régulières et fiables sur l’état des finances publiques, de la compétitivité de l’économie, etc., seraient aussi utiles pour assurer une bonne information des citoyens épargnants, et leur permettraient de calibrer leur confiance en fonction de l’utilisation faite des moyens publics. Pour encadrer et accompagner les finances publiques, la sagesse populaire des épargnants vaudrait beaucoup mieux que la cupidité des spéculateurs et des agences de rating.

Les épargnants peuvent aussi comprendre qu’un plan de relance intelligent, encourageant une croissance saine basée sur des investissements d’infrastructure, de recherche et de formation, d’initiatives industrielles productives peut être financé sans fétichisme statistique.

Il est tout à fait possible de sortir des carcans actuels que s’impose la zone euro sans sombrer dans l’austérité déprimante, mais en sortant de l’ornière intellectuelle du tout au marché, en s’adressant aux citoyens.

The sovereign debt crisis can easily dissolve if real investors can be motivated

If the Italian Sate is getting to be short of liquidity at the moment, and struggling with a debt of around 2 trillion euros, Italians are pretty wealthy, to the tune of an aggregate of 9 trillion euros (Bank of Italy figures). Morever, the gross savings of Italians are yearly about 15% of their GNP, more than the amount of bonds the Italian State has to issue every year. This might offer some alternative ideas to solve its liquidity problem. The idea has been floated to beg the chinese government; but, with barely 3 trillion euros of financial reserves, it appears as a pauper compared to the aggregate of Italian citizens. Of course a sizeable part of that is in Real Estate and other fairly illiquid assets, but a few trillions is in financial assets ; so why not turn to Italian citizens to help solve Italy’s liquidity problem? And so could the French, Spanish, Belgian States turn to their citizens, if need be.

Most of the funding of the Italian debt was done domestically until the advent of the Euro. Since then, the Italian Treasury issues its bonds in the international bond market, and Italian citizens put their savings in a wide variety of instruments and places. Interest rates in Euro have often been kept too low, resulting in overborrowing by many Sates (and a few real estate bubbles here and there). Few real savers and long term investors were buying long term bonds at such low rates. Rates on Italian debt have risen lately, creating some opportunities to attract real savers once again, including of course Italian savers. Good retail bond-distribution channels are not difficult to put in place , and solid domestic demand may stabilize the interest rate the Treasury has to pay; moreove, the « high » interest rate would have no negative impact for Italy and the Italian economy, since it would remain in Italy and flow to Italian citizens. And if Italian citizens want to invest their savings somewhere else, and are not willing to fund their own Treasury at a lower cost, why would anyone else have to do so?

Euro zone governments enjoyed the sovereign bond bubble while it lasted, and relied too fast and too much on banks and volatile international markets (and thus fickle and incompetent rating agencies) to fund their public debt after joining the euro-zone. Of course Euro zone banks were eager to take advantage of the lax solvency rules of Basel 1 and 2 and the funding largesse of the euro system, in order to inflate their balance sheet and make easy money, and did so by indiscriminately buying euro-government paper. They are often too big, too full of sovereign paper, and undercapitalised. Their deleveraging could be achieved by a substantial downsizing, -which would in many cases be preferable to recapitalisation, since Finance is sucking enough capital already-, combined with a progressive return of the funding operations of governments towards real savers, like their citizens. This would not work for Greece for a number of reasons, but would for most other countries; it might go a long way towards solving the euro government debt problem, with no need of money printing.
Eric De Keuleneer — 21/11/2011

Rente nucléaire (suite)

Suite à ma note sur la rente nucléaire du 27 mai dernier, j’ai revisité quelques chiffres anciens pour reconstituer d’une autre façon les mystérieux et plantureux bénéfices d’Electrabel en Belgique.

Les prix à la production étaient en 2000 de l’ordre de 30 euros par mwh (chiffres du Comité de Contôle du Gaz et de l’Electricité)
Les prix de vente en 2010 sont de 76 euros ( chiffres Electrabel) pour une grande partie de la production ( celle vendue via ECS), et probablement au minimum 60-65 euros/mwh en moyenne pour les 200 plus grands consommateurs ( ceux que je connais payent beaucoup plus cher que cela, mais ce sont des entreprise moyennes, parfois consommateurs importants). Disons en moyenne 65 euros pour la production d’Electrabel en Belgique

Soit une augmentation de 35 euros/mwh depuis 2000,  sur une production de l’ordre de 80 Twh (le fait qu’Electrabel vende ou échange une partie de leur production belge avec d’autres producteurs ne change rien à sa rentabilité, sauf que cela permet peut être de transférer discrètement cette rentabilité), soit environ 2,8 Millards euro de potentiel d’augmentation de profit. Sans compter la production Electrabel de la centrale de  Chooz,  aussi payée par les consommateurs belges.

Les augmentations de coût que j’identifie sont plutôt limitées ; le cout du charbon et du gaz (le coût de ce  gaz est lié à celui, en augmentation relativement réduite, du charbon), représentent au maximum une augmentation en moyenne de 20 à 30  euros par Mwh, sur environ 35 Twh de production non-nucléaire, soit au maximum 1millard d’euros.  Diminutions de coût probable dans les frais de personnel ( forte diminution d’emploi en production depuis 2000), et diminution des amortissements. De plus Electrabel reçoit des subsides importants pour de la production peu coûteuse de vieilles centrales à charbon reconverties au bois (en grande partie importé, … du Canada), considérée (généreusement, mais la Belgique est généreuse avec Electrabel) comme de la production « renouvelable ».  Bref, des coûts en augmentation probablement de moins de  750-800 millions d’euros.

Donc une augmentation des bénéfices de 2 milliards environ entre 2000 et 2010

Les bénéfices en production en 2000 devaient ètre de l’ordre de 500 millions (on dispose de chiffres pour l’activité Production et Transport combinée). Si on ajoute 2 millards entre temps, on arrive aujourd’hui à environ 2,5 milliards, à quoi il faut ajouter plusieurs centaines de millions qu’Electrabel obtient d’Elia pour assurer le back-up du réseau, avec la station de pompage de Coo, entièrement payée par les consommateurs belges. Bref, ici aussi, on est entre 2,5 et 3 millards d’euros de profit annuels. Electrabel déclare 850 millions de bénéfices, et refuse de s’en expliquer.

Face à une éventuelle taxation de ces bénéfices au titre de l’abus de la rente nucléaire payée par le consommateur, la maison-mère d’Electrabel, GDF-Suez s’offusque et menace de quitter la Belgique( comme si on quittait sa vache à lait). Il faut savoir que GDF-Suez doit absorber des pertes considérables (probablement plus d’1, voire 2 millards par an) en France du fait du blocage des prix du gaz. Ces ponctions considérables du fait de décisions du gouvernement français semblent beaucoup moins émouvoir la direction du GDF-Suez.

26 octobre 2011

Eric De Keuleneer