Et si on misait plutôt sur les citoyens pour sauver l’euro ?

La situation économique en zone euro est globalement médiocre mais pas vraiment mauvaise. Les comptes courants et la balance commerciale sont en équilibre, et les déficits budgétaires et dettes publiques ne sont sûrement pas plus élevés que dans d’autres pays développés. La crise de la zone euro vient largement de déséquilibres internes et de bulles euphoriques sur les emprunts d’Etat en euros jusqu’au début 2010, et de leur dégonflement depuis lors, ainsi que du fait que dans la zone euro, la banque centrale n’a pas la possibilité de créer de la monnaie de façon illimitée pour financer les Etats ; ce qui est bon pour les principes d’orthodoxie monétaire, mais n’aide pas la crédibilité financière des pays membres perçus les plus endettés, ce qui est utilisé comme prétexte dans les jeux politiques des agences de Rating.

Ces agences ont depuis dix ans montré beaucoup d’incompétence, ont encouragé le surendettement des Etats jusqu’en 2010 et entretiennent les inquiétudes aujourd’hui par leurs dégradations plus opportunistes que fondées, car souvent basées sur l’évolution des marchés dont les agences sont devenues les caisses de résonance plus que les guides. Malheureusement, les régulateurs et banques centrales européens leur donnent toujours un rôle, trop important, dans la définition du risque souverain.

Les Etats européens se financent depuis 10 à 15 ans de façon croissante via les marchés internationaux ; ce financement est devenu trop important et entretient une dépendance dangereuse vis-à-vis de ces marchés et des agences de rating.

Résoudre cette crise en allant mendier aux quatre coins du monde, de la Chine au Brésil, est vain, dangereux et inutile. Un remède administré par la Banque centrale européenne sous forme d’une promesse illimitée de rachat de la dette publique en euros pourrait à court terme réduire les poussées d’inquiétude des marchés, sans résoudre le problème de fond. Pour le moment, la BCE et divers pays européens y sont hostiles.

Fondamentalement, le moyen existe de résoudre cette crise par le haut, et il est très simple : c’est que les Etats européens, en plus de corriger pour certains leurs problèmes de compétitivité, retrouvent l’habitude de financer leur dette auprès de leurs citoyens, qui dans la plupart des pays en ont très largement les moyens.

La dette publique belge est de l’ordre de 350 milliards d’euros, et le seul patrimoine mobilier des Belges est estimé à 900 milliards d’Euros. L’Etat Belge doit émettre en 2012 environ 35 milliards d’obligations, dont moins de 10 milliards de dette nouvelle, et l’épargne brute en Belgique dépassera probablement 60 à 70 milliards d’euros en 2012. Les situations de l’Italie, de la France…, ne sont pas très différentes.

Certains semblent craindre que si les épargnants belges investissent une part plus importante de leur épargne en bons d’Etat, cela privera les banques belges de dépôts et que celles-ci ne pourront plus financer l’économie belge. C’est doublement erroné : l’épargne belge est largement excédentaire, et nos banques, ayant souvent trop de dépôts, ont prêté et prêtent d’énormes montants à l’étranger. L’épargne qui transite par des sicavs et autres « produits structurés » proposés aux épargnants belges file aussi très souvent vers l’étranger. Il y a de plus trop d’emprunts d’Etat dans les bilans des banques, et ces bilans sont inutilement et dangereusement élevés. L’économie belge ne souffrirait certainement pas d’une réduction de la concentration d’épargne dans les banques, leurs sicavs, et les fausses assurances-vie (bons d’assurance) ; elle a au contraire tout à y gagner.

Il faudrait que les Etats belges, italien, français, etc., s’inspirent de l’exemple des bons d’Etat belges de début décembre, et refinancent régulièrement une partie substantielle de leur dette auprès de leurs citoyens. Il faut pour cela bien sûr que les conditions fiscales faites à ces emprunts d’Etat soient normales et stables. Aujourd’hui, les obligations émises par l’Etat et les entreprises sont les instruments d’épargne les plus taxés, et la dernière réforme accroît encore ce désavantage anormal. Taxer emprunts d’Etat et d’entreprises au même niveau que d’autres formes d’épargne mettrait fin – sans réduire les recettes fiscales – au masochisme fiscal actuel, dans lequel les instruments de financement les plus utiles à l’économie belge (actions et obligations) sont aussi les plus taxés, ce qui fait que l’argent ne s’y dirige pas volontiers. Il faut aussi mettre en place des circuits de distribution de titres efficaces, et que les formules offertes soient simples et attrayantes, par exemple en offrant une bonne liquidité aux épargnants. Des informations claires et une simplicité de la fiscalité au niveau européen seraient aussi bienvenus.

Les particuliers ne s’affolent pas, ils l’ont encore montré en souscrivant massivement aux bons d’Etat après la dégradation de la Belgique par Standard & Poor’s. Des informations régulières et fiables sur l’état des finances publiques, de la compétitivité de l’économie, etc., seraient aussi utiles pour assurer une bonne information des citoyens épargnants, et leur permettraient de calibrer leur confiance en fonction de l’utilisation faite des moyens publics. Pour encadrer et accompagner les finances publiques, la sagesse populaire des épargnants vaudrait beaucoup mieux que la cupidité des spéculateurs et des agences de rating.

Les épargnants peuvent aussi comprendre qu’un plan de relance intelligent, encourageant une croissance saine basée sur des investissements d’infrastructure, de recherche et de formation, d’initiatives industrielles productives peut être financé sans fétichisme statistique.

Il est tout à fait possible de sortir des carcans actuels que s’impose la zone euro sans sombrer dans l’austérité déprimante, mais en sortant de l’ornière intellectuelle du tout au marché, en s’adressant aux citoyens.

Posted by Eric De Keuleneer at 2:18