Responsabilité Sociétale des Entreprises : un concept à préserver de la manipulation

Le concept est ancien, il consiste à rappeler que les entreprises ont d’autres responsabilités que le seul profit immédiat. De nombreuses initiatives sont prises par des entreprises et des  associations pour le promouvoir, mais il convient de veiller à ce que ces démarches apportent véritablement quelque chose, et ne soient pas une simple démarche cosmétique ou pire encore un écran de fumée destiné à combattre les législations et régulations nécessaires dans de nombreux secteurs pour réduire les risques causés par certaines activités. Il n’y a pas que les activités financières qui sont dangereuses ou polluantes. Il faut donc bien veiller à ce que la RSE ne soit pas un autre moyen de faire beaucoup d’argent, mais une autre manière de gérer les entreprises, dans laquelle le profit n’est plus l’étalon de tout comportement, dans laquelle les principes moraux ne sont pas balayés au nom d’un principe de nécessité de profit érigé en devoir suprême de l’homo economicus.

En quoi consistent les démarches de RSE ?  On peut les classer dans quelques catégories :

- Les dons pour de bonnes causes. Bien sympathique et souvent utile, mais généralement marginal, peu en rapport avec les activités de l’entreprise, et octroyés selon  des critères assez flous.

- La gestion des risques.  Une démarche intégrée et prospective de gestion des risques peut intégrer divers  aspects de responsabilité sociale, lorsque l’entreprise cherche à identifier les activités qui pourraient la mettre en risque vis-à-vis de ses partenaires au sens large, en perturbant ses relations de travail, en antagonisant certains clients, en prenant des risques environnementaux, etc. …   C’est là plutôt de la bonne gestion traditionnelle.

- La valeur ajoutée sociétale et la mesure de cette valeur ajoutée.  C’est là l’aspect le plus complet et le plus ambitieux de la RSE, qui consiste à aller dans toutes ces matières plus loin que la gestion du risque immédiat, c’est-à-dire jusqu’à une mesure de l’impact durable : la valeur ajoutée vis-à-vis des clients, travailleurs, fournisseurs, impact environnemental, innovations bénéfiques à la Société,… .  La logique est de permettre aux conseils d’administration et aux actionnaires de mesurer ce que l’on appelle la valeur ajoutée, ou la création de valeur ajoutée sociale, ou au minimum le potentiel de profit « durable »à long terme, qui est sinon une notion très théorique.

Notons que les démarches à caractère écologique peuvent être positives en soi, sans entrer nécessairement dans la RSE : une éolienne sur une usine polluante ne la rend pas plus propre, et on peut vendre des produits bio, renouvelables, isolants, … , sans être pour autant socialement responsable. Ce type d’investissements répond à une autre logique que la RSE, tout en pouvant y être intégré.

La demande en matière d’évaluation de la Responsabilité Sociale des Entreprises est importante aujourd’hui.  L’opinion publique, un nombre croissant d’investisseurs professionnels dont les fonds de pension, les pouvoirs publics, y attachent une importance croissante.  Encore faudrait-il pouvoir mesurer le niveau réel de RSE atteint par les entreprises.

Des cadres de référence se mettent en place, qui permettent d’espérer une standardisation dans ce domaine.  Un cadre avec des normes claires, et un contrôle des informations fournies, sont indispensables pour permettre des progrès réels.  De plus, il est impérieux que les entreprises appliquent ces mesures de RSE de façon exhaustive, à l’ensemble de leurs activités et pas seulement un aspect périphérique (les émissions de CO² par les banques par exemple).

L’Investissement Socialement Responsable (ISR)

Dans le domaine de la Gestion de Fonds d’Investissement, un secteur de l’Investissement Socialement Responsable existe et se développe depuis des décennies, répondant aux à diverses logiques décrites ci-dessus.

Un examen des fonds d’investissement spécialisés « ISR » indique que les titres les plus répandus dans ces fonds sont des actions d’entreprises parfois peu convaincantes quant à leur responsabilité sociale, avec une grande représentation des secteurs tels que les technologies, la pharmacie, les banques, secteurs dont les entreprises ne produisent pas de produits interdits ou de pollution visible, sont rarement obligés de procéder  à des licenciements massifs, et font peut-être beaucoup de communication sur leur « Responsabilité Sociale » mais pour autant, ne donnent pas toujours une impression de grande Responsabilité Sociale réelle, que ce soit les conditions de base de respect de la concurrence et la transparence de l’information, ou une politique raisonnable de rémunération et de bonus, ou encore  les considérations plus générales de souci de l’ensemble des partie prenantes, de l’environnement, d’un marketing responsable et respectueux de l’intérêt des clients,  etc…

En conclusion, les indicateurs RSE devraient un jour être fiables, mais en attendant…

Les indicateurs de RSE devraient en fait permettre d’évaluer de façon fiable et normée que les entreprises respectent au moins les conditions de base de la légitimité du profit,  ainsi que d’évaluer dans quelle mesure elles vont plus loin en matière de RSE.  Beaucoup de progrès reste à faire à cet égard.

Comme première étape, on pourrait définir un concept d’Investisseurs Socialement Responsables.  Il s’agirait d’investisseurs qui adoptent (et font contrôler) un mode de comportement professionnel leur permettant de s’inscrire dans cette catégorie, dès lors qu’ils respectent un certain nombre de critères, dont la sélection des titres, mais aussi un rôle d’actionnaire actif visant à bien connaître les entreprises, à influencer leur comportement vers une réelle Responsabilité Sociétale, et à maintenir leurs rémunérations dans des normes raisonnables,… .

Avec l’apparition de nouveaux acteurs spécialisés et les progrès dans la rigueur du reporting, la RSE et l’ISR pourraient devenir un jour des compléments très utiles d’une bonne régulation des marchés et des entreprises.

Références

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Posted by Eric De Keuleneer at 2:16