Dérives de crédits et ventes à découvert se combinent pour nuire aux marchés financiers

Le comportement des marchés financiers depuis plusieurs années fait apparaître les conséquences très négatives de deux mécanismes, souvent utilisés en tandem par des spéculateurs pour atteindre leurs funestes objectifs,  les dérivés de crédit et les ventes de titres à découvert.

La vente à découvert ou vente « short » est la vente par un opérateur de titres qu’il ne détient pas, avec l’espoir d’en faire baisser le prix et de les racheter plus tard, moins cher, avec  profit important. Les dérivés de crédit « Credit Default Swaps » (CDS), sont  des contrats d’assurance crédit dont un marché est organisé entre banques pour les dettes des 2000 à 3000 plus grandes banques et  sociétés mondiales, et de dizaines d’Etats. Ces contrats sont cotés, leur prix est  la rémunération du risque assuré : un pourcentage faible « indique » un risque faible, et un pourcentage élevé un risque élevé. « Indique » est un grand mot, car ce marché est souvent opaque et illiquide, et facilement manipulable.

Le potentiel destructeur de ce marché est illustré par un simple exemple :
- Supposons un Etat-voyou, ou un Hedge Fund (Fonds spéculatif) « short » (visant une strategie à la baisse), qui souhaitent nuire au système financier, le premier par idéologie, le second pour gagner de l’argent, et peut être le second travaillant pour le premier. Appelons-les « Docteur Folamour », nom du caractère maléfique dans le mémorable film éponyme de Kubrick ;
- Folamour choisit une banque XY paraissant vulnérable, il vend « short »  des titres de la banque, dont la cotation se met à baisser. Il répand quelques rumeurs négatives, et se déclare acheteurs de CDS sur cette banque ; le prix des CDS augmente. Cours de bourse en baisse, prix des CDS en hausse, la Banque XY suscite l’inquiétude ; les agences de rating, qui se basent maintenant plus sur ces « indications » de marché douteuses que sur des analyses fondamentales, abaissent le rating de XY. Folamour continue, les autres banques et les clients se méfient et retirent leurs dépôts, XY doit demander l’aide de l’Etat ou  se mettre en faillite. Le cours de l’action tombe au plus bas. Folamour gagne un paquet d’argent en rachetant sa position à découvert. Folamour cherche une victime suivante.

Cette fable n’en est pas vraiment une. Les déboires de nombreuses banques en 2008 aux Etats-Unis et en Europe – Bear Stearns, Lehman Brothers, Fannie Mae, Fortis, Dexia-, ont suivi ce schéma. L’attaque de ce type – repoussée – sur Morgan Stanley en Novembre 2008 a été documentée dans le « Wall Street Journal » du 25 novembre 2008.
Notons que divers Etats –dont la Belgique- interdisent maintenant la vente à découvert « nue » de titres  qu’un spéculateur ne possède pas, mais sans interdire d’en emprunter (ni d’en prêter), et on peut donc encore vendre à découvert des titres qu’on a empruntés… . L’interdiction du « naked » short selling est donc de portée réduite.
En pratique, pour réussir dans ses ambitions morbides, Folamour a besoin de deux choses : le marché des « CDS » dans son état actuel de marché inofficiel, de gré à gré, opaque et manipulable, et la possibilité d’emprunter les actions qu’il veut vendre à découvert.  Le prêt de titres est d’ailleurs pour des professionnels de la gestion de fonds une source  de commissions, assez opaque, portant sur des milliards d’euros. De nombreux gestionnaires de fortunes et gérants de sicav, et de nombreuses banques dépositaires de titres prêtent régulièrement les titres de leurs clients, même à leur insu, en leur faisant courir un risque important (la faillite de la banque Lehman a  coûté très cher à certains déposants à cause de cela) afin d’encaisser des commissions, dont une grande partie est gardée par les banques et gestionnaires de fonds. Les cours de bourse de nombreuses banques, dont Fortis, ont été ainsi attaqués par des spéculateurs, qui ont empruntés les titres auprès… de leurs actionnaires, souvent via la banque ou la sicav de ces derniers. Les règlements en Belgique ne protègent pas  les détenteurs de Sicav, qui supportent les risques de baisse et de contrepartie (celui-ci est en principe couvert par des titres, mais qui souvent sont d’une qualité douteuse), et ne touchent souvent que 40% de la rémunération du prêt d’actions, l’essentiel allant à la société de gestion de la Sicav, qui est donc très motivée à continuer ce petit jeu de sociétés… .

Une meilleure  réglementation et transparence des prêts d’actions aurait donc une grande logique du point de vue prudentiel,  rendrait plus difficiles les activités de vente à découvert,et réduirait la volatilité des marchés. Mais  le système actuel de prêts de titres a  des défenseurs fervents (et cupides): ils soutiennent  qu’il améliore  la fluidité des opérations des traders et arbitragistes, ceux qui manipulent des myriades de transactions pour exploiter des imperfections supposées de marché à la hausse ou la baisse. Une limitation des prêts de titres aurait en fait  pour effet de réduire la rentabilité des Bourses et de nombreux intermédiaires, et les  bonus des traders, ce qui n’est pas grave en soi, mais créera leur opposition,… et tous ces gens ont beaucoup d’amis et savent les motiver.

En tout cas, pour le moment  les banquiers déploient des efforts considérables  pour convaincre les autorités qu’il ne faut pas imposer transparence et centralisation au point de gêner les activités de dérivés de crédit ou de prêt de titres. Lénine avait bien dit que les capitalistes lui prêteraient la corde pour les pendre.

Eric De Keuleneer

Posted by Eric De Keuleneer at 10:06