Les agences de notation

« Si on prête de l’argent, on ne peut le faire qu’à des emprunteurs que l’on connaît et en qui on a confiance ».

Pourquoi jugez-vous inutile voire dangereux d’attribuer une note aux Etats ?

Sur le court terme, on peut envisager une évaluation de la capacité de remboursement d’un Etat. Et cela peut être utile pour des entreprises qui commercent avec cet Etat. En revanche, au-delà d’une période de 3 à 5 ans, la qualité de l’analyse devient douteuse car trop de facteurs imprévisibles rentrent en jeu, comme par exemple le prix de certaines matières premières. Comment statuer aujourd’hui sur le sort de l’Arabie saoudite sans savoir combien vaudra le pétrole dans les années qui viennent ? La politique économique est tout autant essentielle et imprévisible comme le montre les choix mal avisés de l’Espagne et de l’Irlande, ou ceux, dans les années 1960-1980, de nombreux pays en voie de développement. Si on ajoute à cela le risque politique, …. De plus, ces informations sont inutiles et dangereuses, car c’est aux investisseurs de se forger une opinion par eux-mêmes. Les ratings ont encouragé de nombreuses banques à prêter de l’argent à des pays comme la Grèce sur base de la croyance de ces agences que, pour des raisons politiques, l’Allemagne ne laisserait jamais tomber un pays de la zone euro…

Quel regard portez-vous sur la notation de la Belgique ?

Il y a une certaine complexité et une difficulté à lire les institutions belges pour l’extérieur, mais à côté de cela, la Belgique a de considérables capacités de production de richesses et d’ épargne. C’est probablement un des meilleurs risques sur le marché ! L’épargne des Belges représente le double de la dette. Pourtant, la Belgique, bien que très solvable, n’est pas très appréciée par les analystes de rating et leurs modèles, qui se basent sur des critères standardisés. La méthodologie et les critères sont établis en fonction des pratiques américaines ou celles des grands pays européens, qui conviennent mieux aux uns qu’aux autres. Cela montre bien les limites de la démarche qui consiste à mesurer les pays avec des modèles et des notations.

Selon vous, la meilleure régulation résiderait dans une moins grande internationalisation du marché ?

En effet, à travers tout ce qui vient d’être dit, on peut voir à quel point l’internationalisation de la dette n’a pas été une bonne chose. Depuis trente ans, la Belgique dépend beaucoup plus des marchés internationaux. Si les Etats étaient plus limités dans leurs capacités d’emprunt par les possibilités de financement du marché intérieur, on aurait maintenu un garde-fou. Pour s’en convaincre, il suffit de retourner dans les années 1980, quand l’Etat belge a pu emprunter au-delà du raisonnable à des banques internationales qui croyaient « recycler les petro-dollars ». En réalité elles encourageaient la Belgique et de nombreux pays à faire du déficit budgétaire excessif. C’est le même mécanisme qui a permis à l’Espagne, par exemple, de contacter des dettes de façon excessive entre 2004 et 2009. Cette fois-ci, soit disant grâce à « la sophistication croissante et la liquidité des marchés de capitaux » ; foutaises. On met trop en avant l’aspect positif de la globalisation et de l’accroissement de la liquidité ; si on regarde de plus près, on réalise que quand il y a un problème, quand on a besoin de cette liquidité, elle a disparu et que ce sont les banques centrales qui apportent la liquidité quand on en a vraiment besoin, pas les marchés. En réalité, les agents économiques autres que bancaires ont surtout besoin de discipline de marché et de stabilité financière.
Il faut pouvoir compter sur des informations indépendantes, exemptes de conflit d’intérêt. Cela pourrait passer par un contrôle de l’information publiée un peu à l’image de ce qui est pratiqué au niveau des actions, lors des introductions en bourse et autres émissions. Les banques comme les régulateurs doivent se cantonner aux risques qu’ils peuvent comprendre, quitte à ce que cela limite l’activité, souvent frénétique et inutile, des marchés.

Quelle est votre opinion concernant le projet d’agence de notation européenne ?

Je crains que l’on n’apporte pas de solution au problème, voire, qu’il ne soit aggravé par une concentration encore plus forte. Rien ne garantit que cette agence sera plus indépendante, ou moins corrompue. C’est le modèle de rating standardisé, d’agences de rating payées par les émetteurs et trop concentrées, qui ne convient pas, et pas simplement la nationalité ou l’habillage.

11/26/2010

Posted by Eric De Keuleneer at 8:26