Le G20 a échoué sur la régulation

Le 2 avril 2009, les vingt plus grandes puissances s’engageaient à remettre le système financier sur pied. Bilan critique avec le professeur Eric De Keuleneer, professeur à la Solvay Brussels School (ULB) où il enseigne les matières financières. Nous l’avons interrogé un an jour pour jour après le sommet du G20 à Londres (lire ci-contre à ce propos).

Le G20 a-t-il été à la hauteur des engagements pris à Londres en matière de relance économique et de régulation financière ?

Pas vraiment. Le G20 avait énoncé quelques belles intentions, mais ce qu’il aurait dû faire en priorité, c’est de s’attaquer sérieusement au problème le plus concret et qui nécessite une coordination internationale : la régulation des banques et des marchés financiers. Or, sur ces deux aspects essentiels, on est face à une véritable cacophonie. Le G20 a échoué.

Le G20 est tout de même parvenu à relancer la “machine” économique…

On a effectivement évité le pire scénario, celui d’une « récession-dépression », mais grâce à des amphétamines ! On est aujourd’hui en présence de déficits publics considérables et on n’a toujours pas de signes d’une reprise économique solide et durable aux Etats-Unis et en Europe. Ma conviction est que la non-réforme du système financier international est largement responsable de l’absence de reprise réelle de l’activité économique. Les gouvernements sont plus que jamais les otages des banques. L’activité purement financière des banques demeure hypertrophiée, ce qui tend à montrer que les mauvaises habitudes du passé refont surface. Cela n’incite pas au retour à la confiance, qui était pourtant l’une des priorités du G20 de Londres.

Que faudrait-il faire pour éviter de revivre une crise bancaire?

Sur le plan régulatoire, il conviendrait de trouver le moyen de réduire les prises de risque par les banques de dépôts afin de sécuriser davantage le système bancaire. Pour cela, il faudrait mieux isoler les activités financières purement spéculatives. Malheureusement, s’il y a une volonté politique pour aller dans ce sens, les principaux leaders politiques (Obama, Brown, Sarkozy, Merkel, etc.) n’ont manifestement pas la capacité de faire face au terrible lobby bancaire qui bombarde tous les décideurs politiques d’études destinées à montrer que si on régule les banques, on va étouffer la croissance et la créativité des économies. Ce qui est de la pure propagande ! Mais le monde politique semble y être très sensible.

Les marchés boursiers ont enregistré de belles progressions ces derniers mois, les banques ont renoué avec les bénéfices… Ce sont là des signes que tout a repris comme avant ?

C’est surtout la conséquence de taux d’intérêt quasiment nuls. Ces taux très réduits sont un soutien gigantesque au système bancaire et aux comportements spéculatifs, mais ne sont pas très sains pour le reste de l’économie, notamment pour les épargnants.

Les bilans des banques sont-ils plus sains qu’il y a un an ?

En partie, notamment en raison des taux d’intérêt extrêmement bas – que les banques n’ont généralement pas répercuté dans leur politique de crédits – et la remontée de valeur de certains actifs. C’est donc l’économie réelle qui, aujourd’hui, paie pour la rentabilité retrouvée des banques. Ce n’est pas là une répartition des flux financiers propice à un développement économique très sain.

Le G20 avait promis de s’attaquer, en les encadrant plus strictement, les bonus attribués au sein du monde bancaire. Les pratiques ont-elles évolué ?

Les mentalités ont un peu évolué… Mais ce qu’il faudrait, ce sont des codes de comportement et des règles déontologiques beaucoup plus strictes.

Autre cible du G20 : les fonds spéculatifs (“hedge funds”). Sont-ils devenus plus transparents?

Les « hedge funds » font partie, comme les paradis fiscaux, d’objectifs beaucoup plus politiques que financiers. Certains ont fait croire qu’en s’attaquant aux « hedge funds », on allait réduire la puissance et l’arrogance de la place financière de Londres ou de New York. En fait, les « hedge funds » ont souvent mieux géré les risques que les banques. Ce qui importe, ce serait de décourager les banques de pouvoir prendre des risques excessifs et, surtout, de réduire leur capacité à financer les « hedge funds » et les activités spéculatives en général. Tant qu’on n’isolera pas les activités dépôts/crédits, d’un côté, et les activités de marché, de l’autre, on permettra aux banques de collaborer avec les fonds spéculatifs et d’alimenter la spéculation. Le vrai problème, il est là.

Dans ce contexte international, la Belgique s’est-elle distinguée en matière de régulation financière ?

Je reste sur ma faim. Il n’y pas eu vraiment de débat sur la séparation des activités bancaires. Ce qui est positif, c’est qu’on semble s’orienter vers une meilleure protection des épargnants. Il y a aussi eu la taxe bancaire imposée par le gouvernement fédéral. Sur ce point, la Belgique a été un peu pionnière, même s’il est dommage qu’on impose les dépôts et non les financements interbancaires. La taxe belge revient à pénaliser des banques d’épargne, qui ont des bases de dépôts solides, et ne décourage pas les activités de marché, ce qui serait le cas avec une taxe imposée sur les activités interbancaires et spéculatives.

Vous redoutez une nouvelle crise du système financier et bancaire international ?

En tout cas, je constate que si certaines banques ont commencé à assainir leur bilan, d’autres ont recommencé à prendre de gros risques en matière de taux d’intérêt. Ces banques profitent de taux très bas à court terme pour financer des actifs de long terme et, ainsi, tirer profit de marges importantes. C’est un jeu risqué.

mis en ligne le 3 avril 2010 sur www.lalibre.be

 

Posted by Eric De Keuleneer at 5:56