PROJET CORPORATE GOVERNANCE

PROJET CORPORATE GOVERNANCE

Le projet de loi permet un certain nombre de progrès dans une matière importante.
Néanmoins, le problème des conflits d’intérêts mérite une réflexion complémentaire. En effet, la gestion des conflits d’intérêts des réviseurs d’entreprise est largement abordée dans le projet, et les mesures envisagées sont très strictes, mais les conflits d’intérêts d’autres intervenants restent problématiques.

Les conflits d’intérêts des administrateurs.

1) Avant 19941, la loi sur les sociétés commerciales réglait la matière des conflits d’intérêts de façon claire et précise, mais rendait les transactions au sein des groupes financiers parfois lourdes. Du fait de la concentration d’actionnariat dans beaucoup d’entreprises, et du peu de souci des groupes d’accueillir des administrateurs indépendants, les conseils étaient parfois composés très largement d’administrateurs empêchés de siéger.

La reforme légale de 1994 visait à distinguer d’un côté les conflits d’intérêts personnels des administrateurs (l’article 60, devenu 523), et de l’autre les cas de décisions provoquant des conflits d’intérêt entre des sociétés cotées et leur actionnaire de contrôle (l’article 60 bis, devenu 524). Suite à des interventions diverses, la portée et le champ d’application de cet article 60 bis-524 ont été fortement réduits dans la loi définitive et dans certaines interprétations. L’argument avancé était souvent que nos entreprises sont petites et ne peuvent supporter des codes de conduites et normes de type international, trop contraignants. Les lois furent infléchies pour protéger les actionnaires, plutôt que les entreprises.

La modification actuellement proposée de l’article 524 est utile et bienvenue, mais ne réduit pas vraiment le nombre d’exemptions du champ d’application de cet article.

2)   Certains administrateurs considèrent qu’ils siègent en Conseil d’Administration pour représenter le ou les actionnaires qui les ont fait nommer, et défendre leurs intérêts.  Un actionnaire siègeant en conseil est tenu de respecter l’article 523 alors qu’un « représentant d’actionnaire » y échappe, et peut défendre en toute impunité un intérêt particulier  opposé à celui de la société.  Ceci est d’autant plus aisé en Belgique que la loi ne définit pas très précisément les devoirs de l’administrateur, même si elle se réfère à quelques endroits à « l’intérêt social », généralement compris comme l’intérêt de la société et de l’ensemble des actionnaires (les « associés »).

3)   La situation actuelle peut donc être résumée comme suit : en Belgique, un administrateur ayant des conflits d’intérêt manifestes peut participer aux délibérations et décisions du Conseil d’Administration, pourvu qu’il ne se trouve pas dans une des deux situations prévues dans la loi de 1994.

Dans les autres pays industrialisés, les lois et règles sont plus claires et affirment mieux les devoirs, contraintes et incompatibilités des administrateurs, ainsi que l’obligation de gérer leurs conflits d’intérêts.  Des entreprises belges actives internationalement doivent d’ailleurs y appliquer des règles plus strictes, sous peine de découvrir durement que ce qui est permis en Belgique est interdit ailleurs.

4)    Il est donc nécessaire d’envisager quelques mesures :

- Réintroduire dans la loi un principe général selon lequel tout administrateur qui a des conflits d’intérêts structurels ou ponctuels doit les porter à la connaissance du Conseil d’Administration, et les gérer au mieux, sous peine de nullité de décisions, de responsabilité personnelle et d’amendes. Il est important que ceci inclue les conflits d’intérêt liés à la fonction.

- Instaurer des règles simples définissant les devoirs de l’administrateur, soit via des lois et règlements, soit via des codes professionnels approuvés par l’autorité (La Commission Bancaire et Financière). La Fondation des administrateurs a défini un tel code, joint à la présente. Parmi les devoirs des administrateurs vis-à-vis des sociétés, il importe d’insister sur le devoir de loyauté, le devoir de meilleur soin, le devoir de discrétion.

L’objectif en tout cas devrait être que la législation renforce la bonne gestion et la transparence des sociétés anonymes. Il ne faut pas non plus craindre de prendre des mesures, même législatives, de défense de l’indépendance des sociétés belges, car il en existe aussi à l’étranger; toutefois, les mesures de « défense » de l’ancrage belge par des privilèges accordés à des actionnaires de contrôle ont démontré qu’elles facilitaient plutôt la vente à l’étranger des sociétés belges, et pouvaient nuire à leur dynamisme.

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Pour rappel, avant la réforme de 1994, l’article 60 disait : “L’administrateur qui a un intérêt opposé à celui de la société dans une opération soumise à l’approbation du conseil d’administration, est tenu d’en prévenir le conseil et de faire mentionner cette déclaration au procès verbal de la séance. Il ne peut prendre part à cette délibération. Il est spécialement rendu compte, à la première assemblée générale, avant tout vote sur d’autres résolutions, des opérations dans lesquelles un des administrateurs aurait eu un intérêt opposé à celui de la société ».

Posted by Eric De Keuleneer at 12:55