Rente nucléaire

2) Complément et précisions en commentaire aux études CREG et Banque Nationale sur la rente nucléaire

Rente nucléaire 2.0 suite de ma note du 26  septembre 2009  (voir www.dekeuleneer.com)

Les analyses ci-dessous sont livrées dans le but d’aider le lecteur à se faire un opinion sur la rente nucléaire belge. Les chiffres sont puisés aux meilleures sources, mais sont parfois ambigus ou imprécis pour des raisons de faible transparence du secteur, je le regrette sincèrement.

Résumé : confirmation et timide admission de la rente nucléaire, et  autres découvertes

L’étude de la CREG et celle de la Banque Nationale (BNB) apportent d’une part une confirmation de mes chiffres de 2009 relatifs au prix de revient  nucléaire, et d’autre part de très utiles informations complémentaires relatives  à la rente nucléaire et à la rentabilité du secteur électrique en Belgique. Je confirme donc que mon estimation de  la rente nucléaire en Belgique en 2009, à 1,2-1,4 milliard d’euros, était-comme annoncé-très conservatrice (j’avais utilisé des prix de marché à court terme à un moment où ils étaient très faibles), et que je l’évaluerais maintenant plutôt à 1,6-1,8 milliard.

Je confirme aussi mon estimation du bénéfice sur la production belge d’électricité d’Electrabel. en 2009 (et 2008, et 2010) à un niveau de l’ordre de 2,7 milliards d’euros,  sans tenir compte de leurs considérables revenus et  plus values sur participations dans d’autres parties du secteur électrique en Belgique. Je sais que ces chiffres seront démentis par Electrabel. Il faut se souvenir qu’Electrabel en 2007-2008 affirmait avec force qu’il n’y avait pas de rente nucléaire, et soutien aujourd’hui qu’elle est « seulement » de 900 millions en 2007.  Réjouissons nous donc qu’ Electrabel ait fait la moitié du chemin, mais en trois ans tout de même.

Les chiffres récemment publiés confirment que les consommateurs belges en moyenne payent  pour leur électricité des prix pour l’énergie ( production)  basés sur les prix de marché-pour certains même très supérieurs à ces prix de marché-,  plutôt que sur les prix de revient qui sont considérablement plus faibles. Les consommateurs ne bénéficient donc aujourd’hui pas de l’efficience du système de production qu’ils ont largement financée dans le passé, ni des avantages et subsides dont les producteurs bénéficient encore aujourd’hui (dont des quotas CO2 et des certificats verts très généreusement alloués).  Sans oublier qu’une partie des prix élevés du transport et de la distribution vient de coûts du passé qui, contrairement aux bénéfices du passé, sont transférés aux consommateurs.

Les bénéfices ici calculés sont très supérieurs aux bénéfices déclarés par Electrabel ces dernières années (de l’ordre de 850 millions par an) ; une incohérence dans les prix de transfert communiqués entre Electrabel et Electrabel Customer Solutions  pourrait expliquer une partie au moins de cette différence.   

Cette incohérence dans les prix de transfert et le niveau apparemment très élevé des prix de l’énergie pratiqués par ECS vis-à-vis de ses clients (qui représentent plus de 75 % du marché des particuliers et PME en Belgique) appellent dans le  marché belge de l’électricité plus de transparence, ainsi que des mesures de surveillance des prix à la production, au moins tant que subsistent des indications d’abus de position dominante( une « rente de monopole »…).

A. Développement sur la rente: les enseignements des rapports de la CREG et de la BNB

1. Mes estimations du prix de revient nucléaire en Belgique en 2009 étaient de 15 euros par mwh, ce qu’à l’époque Electrabel qualifiait de « fantaisiste ».

Selon les études de la CREG et de la BNB, le prix de revient du nucléaire belge en 2007 était respectivement de l’ordre de 16 à 20 euros, ou de 22 euros par mwh. Pas loin. Les divergences ont diverses origines : les coûts d’exploitation annoncés par Electrabel, à 14 euros/mwh sont probablement trop élevé (près de 40% d’augmentation par rapport aux chiffres contrôlés de 2002, alors que depuis lors le régime régulé de cost-plus a pris fin, et qu’ Electrabel a pratiqué de fortes réductions de coûts, entre autres de personnel). Les coûts annoncés de contribution au démantèlement (payés à Synatom, une filiale d’Electrabel et de GDF-Suez sa maison mère) de 3 euros par mwh sont peu probables, les provisions ayant déjà été constituées, en tout cas en 2009. De plus, les « coûts » du combustible sont aussi fort élevés en comparaison internationale, et sont de plus payés également à leur filiale Synatom. Le prix de revient réel en 2009 en fonction de ces chiffres est donc  probablement de 16, maximum 20 euros/mwh, ce qui est cohérent avec  mes propres estimations de 2009. Retenons par prudence le chiffre de 20 euros/mwh, qui inclut probablement une solide marge bénéficiaire pour Electrabel.

2. Quant aux prix de vente à la production pour calculer la rente nucléaire en 2008-2010, on peut se simplifier la vie et utiliser les prix de vente de marché.  Le mérite d’utiliser les prix de marché est que c’est une donnée facile à vérifier, et que c’est assez réaliste puisque  Electrabel  annonce baser ses prix de vente sur les prix de marché. Les prix de marché en 2008-2009-2010 doivent être calculés en moyenne et vont l’être bientôt,  mais étaient probablement de l’ordre de 50-55 euros par mwh en 2009, et de plus de 60 en 2008 et 2010 ; supposons en moyenne 55- 60 euros par mwh.  La rente en 2008-2009-2010 était donc dans ce cas,  de l’ordre de 1,6-1,8 milliards d’euros, soit  de 35 à40 euros par mwh, sur une production de 45 millions de mwh.

3. Les chiffres relatifs aux prix facturés deviennent alors secondaires, mais ils  contiennent des éléments qui méritent un examen :

- Electrabel revendique apparemment (rapport de la BNB) une déduction du chiffre d’affaire nucléaire (ou un complément du prix de revient du nucléaire) d’un montant de 5 euros/mwh pour les prix plus élevés du non-nucléaire, présentés comme des « coûts » liés à l’entretien et autres interruptions des réacteurs, lorsque le courant vendu à ces clients n’est pas du nucléaire. Cette déduction serait logique si on cherchait à déterminer la rentabilité des grands clients industriels « tout nucléaire », mais pas pour le calcul de la rentabilité du nucléaire en elle-même, car le nucléaire qui n’est pas vendu aux grands clients industriels est vendu ailleurs, à un prix plus élevé d’ailleurs. Il est donc anormal de prendre cela en compte lorsqu’on cherche à calculer la marge bénéficiaire nucléaire d’Electrabel, car cela n’est en rien un coût ou un manque de revenu pour Electrabel. Au contraire, le back-up constitue une source de  revenu pour Electrabel. Si Electrabel est en mesure de fournir cette garantie, c’est parce qu’elle dispose de centrales au gaz  entièrement amorties, payées par les consommateurs dans le régime régulé avant 2007, et surtout de la station de pompage de COO, outil de stockage extrêmement précieux, d’une capacité de pointe  équivalente à une tranche  de nucléaire, entièrement payée par les consommateurs aussi dans le régime régulé, et qui devrait logiquement appartenir  à Elia, et fonctionner dans l’intérêt général comme prévu dans les conventions du secteur. Il arrive à Electrabel de présenter des coûts fictifs, il faut y être attentif.

- L’examen des prix de vente d’Electrabel en 2007 est moins important dès lors qu’on utilise les prix de marché (ces prix de vente sont probablement en moyenne supérieurs au prix de marché d’ailleurs), mais fait apparaître une curieuse incohérence. La CREG et la BNB donnent des détails sur les prix de vente (« base-load ») aux grands industriels (environ 45-48 euros/mwh en moyenne en 2007, « probablement 59 » en 2008-2009), mais semblent avoir reçu des indications moins  précises  sur les prix de vente aux autres clients.  Le principal « autre client » est une filiale d’Electrabel, ECS (Electrabel Customer Solutions), qui  fournit  aux particuliers et PME.  La CREG mentionne comme prix de vente payé par les clients de ECS un chiffre  de l’ordre de 72 à 79 euros par mwh en 2007, qui ne doit guère être inférieur en  2008-2009. Les marges brutes de ECS (dans ses rapports annuels 2007-2009) sont de 10% environ, ce qui est une  marge normale pour des fournisseurs (qui  assurent les relations commerciales et la facturation des particuliers et PME) ;  on peut donc en déduire qu’ECS achetait en  2007 (et 2008-2009)  son électricité à Electrabel à environ 70 euros par mwh.  Mais  la CREG et la BNB parlent  pour 2007, apparemment sur base d’informations venant d’Electrabel,  d’un prix de vente d’électricité à ECS de 57,  voire même de 52,3 euros par mwh.  Si Electrabel a l’impression de vendre son courant à ECS à 52 euros, et si ECS donne l’impression d’acheter son courant à 70 euros, il y a un problème, qui est peut être simplement l’intervention d’une filiale. Ou la différence entre le prix du « base load » et le prix réellement facturé.  Mais différence qui mérite un examen approfondi.  En fait, en cas de calcul sur base des prix de vente réels, toutes les transactions devraient êtres contrôlées et les transactions intra-groupe éliminées ; l’utilisation du prix de vente réel aboutirait  probablement à une rente nucléaire supérieure à celle calculée avec les prix de marché.

B. Le montant du prélèvement,  ou autre utilisation de la rente

Pour aider à établir le montant du prélèvement sur cette rente nucléaire, rappelons qu’il mérite un débat en soi, car il ne s’agit pas de bénéfices ordinaires, mais de bénéfices anormaux, provenant de surcoûts et de risques assumés depuis des décennies par les consommateurs, en raison du non-respect de conventions et de promesses :

- Dans un calcul comptable sommaire et  très conservateur, j’avais estimé en 2009 que le  simple remboursement au consommateur, avec des intérêts très minimalistes, du trop-perçu de l’amortissement accéléré des centrales nucléaires correspondrait à 1,4 milliard d’euros par an pour la durée de vie restante des centrales.  Ceci n’inclut pas le coût de l’assurance publique gratuite dont bénéficie le secteur nucléaire du fait du plafonnement de sa responsabilité civile (à 300millions d’euros). Le produit de la taxe nucléaire sur les bénéfices du passé devrait entre autres servir à financer les coûts du passé aujourd’hui payé par le consommateur, et à financer les certificats verts, et autres aides à la production du futur.

- la BNB encourage à ne pas prélever la totalité de la rente, mais son niveau actuel est clairement confortable.

- Le gouvernement  britannique  vient d’instaurer une taxe spéciale sur les puits de pétrole anciens à 50% des bénéfices,  ce qui d’après le Financial Times est équitable et ne devrait en rien gêner les investissements. Ces 50% représentent deux fois le taux de l’Impôt des sociétés en Grande Bretagne. Le gouvernement  norvégien taxe ses producteurs de pétrole à 78% pour les puits anciens, ce qui n’a jamais découragé l’investissement.

- Une  manière complémentaire de compenser les  consommateurs belges pour les surprix et risques du  nucléaire est de mettre en place un mécanisme simple et équitable de limitation des prix de production, soit via un acheteur unique, soit  via des enchères restreintes, ou via un encadrement (plafonnement) des prix à la production pour  assurer que les fournisseurs puissent acheter leur électricité à un prix plus favorable qu’aujourd’hui, tenant compte des prix de marché et des subsides (quotas CO2, autres avantages,..) reçus par les producteurs.

C. La rentabilité  électrique d’Electrabel en Belgique

- si l’on souhaite évaluer la rentabilité de  l’électricité en Belgique pour Electrabel, on peut procéder assez simplement.  Electrabel produit environ 35 millions de mwh par an d’électricité non-nucléaire, d’origine fossile ou  renouvelable. Leur prix de revient moyen peut être  évalué avec les informations récemment publiées. En effet, la plus grande part (60% environ) est produite à base de gaz naturel avec des contrats à long terme indexés sur le charbon, dont le prix de revient est probablement (Electrabel refuse de le communiquer) nettement inférieur aux prix de marché.  Une indication précieuse quant au coût des centrales à gaz pour Electrabel figure dans le rapport de la BNB, qui dit fort diplomatiquement  (… lijkt « aannemelijk » pg 26) que le coût de fourniture non-nucléaire en 2007, calculé en fonction d’une part de prix de revient d’unités « flexibles » et d’autre part de prix de marché, était « acceptable » à 44,8 euros ; les prix de marché étant de l’ordre de 60 euros/mwh en 2007, cela permet de penser que le prix de revient des unités « flexibles », les centrales à gaz, était au maximum de l’ordre de 35 euros/mwh en 2007. Les autres sources (charbon,  centrale à charbon reconvertie au bois  bénéficiant généreusement de certificats verts, hydroélectrique totalement amorti) coûtent nettement moins cher, de quelques euros à 20 ou 30 euros du mwh ; le vrai renouvelable avec certificats verts coûte plus cher, mais est  très très minoritaire dans ces autres sources .  Soit donc un prix de revient moyen maximum de 30-35 euros/mwh en 2007, et probablement guère plus de 35 euros en 2009. Par rapport à un prix de vente de 60 euros/mwh, cette production devrait alors rapporter  en 2009 au moins une marge de 25 euros par mwh, et un bénéfice de 875 millions d’euros.

- on additionne alors  les 90% ( part d’Electrabel, en faisant l’hypothèse fausse qu’Electrabel ne fait pas de bénéfice sur les autres 10%, et en ne parlant pas de la part d’Electrabel dans la centrale nucléaire de Chooz en France, aussi amortie aux frais des consommateurs belges) de la rentabilité nucléaire, soit en 2009 environ 1620 millions, aux 875 millions du reste, et on obtient 2. 495 Millions. Il convient d’y ajouter les 200 millions pour garantie de livraison[1] qu’ Electrabel facture à El ia pour assurer (en  partie) le back-up du réseau à haute tension,  ce qui n’occasionne pas de frais à Electrabel. Le coût de ce back up est facturé aux consommateurs. Bref, un bénéfice de l’activité électricité pour Electrabel en Belgique de 2. 695 millions d’euros.  Environ.

D. Si  le groupe GDF-Suez  menace à nouveau de « quitter la Belgique »

GDF-Suez semble avoir menacé de quitter la Belgique si une taxe nucléaire substantielle, ou un plafonnement des prix,  lui était imposé.  Ils pourraient mettre leurs menaces à exécution. Il serait judicieux de réfléchir à un schéma simple dans lequel le gouvernement (ou un consortium d’investisseurs  belges) rachèterait  Electrabel,  et chercherait un ou plusieurs acquéreurs potentiels, peut –être en séparant le nucléaire des autres actifs, et en tout cas en séparant l’activité de fourniture  ECS de l’activité de production ; la cohabitation d’un producteur  dominant et d’un fournisseur dominant est clairement malsaine et contraire aux principes d’un marché libéralisé. La station de pompage de Coo et une centrale à gaz devraient être cédées à  Elia pour assurer aux meilleures conditions le back-up du réseau.

En évaluant Electrabel sur base de ses bénéfices annuels  déclarés  de l’ordre de 850 millions avant impôts (ces dernières années), il ne devrait pas en couter plus de 12 à 13 milliards d’euros, et la revente ou la gestion raisonnable des entités devrait rapporter beaucoup plus.  La libéralisation du marché ne pourrait qu’y gagner, et l’économie belge aussi. Depuis qu’elle a pris le contrôle du secteur électrique belge (un des tout premiers au monde à avoir réussi une grande internationalisation dans les années 1990, presque à l’insu de Suez à l’époque), Suez-GDF  n’y a rien apporté, y a réduit au strict minimum les investissements, en a tout appris quant  à l’activité électrique, et en a retiré et en retire encore énormément d’argent.  S’ils veulent partir…

Eric De Keuleneer

23 mai 2011

N.B. :

En résumé : Estimation approximative du prix de la composante électricité en Belgique

Prix de revient 2007, et probablement 2008-2010

Nucléaire : – 16-22 €/mwh   (chiffres CREG-BNB)

- 15euro/mwh (estimation EDK)

Non-nucléaire :

(estimation EDK)

En 2007, probablement 30-35 €/mwh

En 2008-2009, probablement 35 €/mwh

Prix de marché en 2008-2010

Environ 60 euros/mwh(estimation EDK)

Prix de vente pratiqués par Electrabel en 2008-2010

- Aux grands industriels : +/- 55 à 60 euros/mwh (estimation EDK sur base des chiffres BNB-CREG)

Prix de vente aux fournisseurs et revendeurs pour 2007 (chiffres 2008-2010 plus difficiles à estimer, mais probablement supérieurs)

- 52 à 57 euros par mwh (Chiffres Electrabel, cités par la CREG et la BNB pour ventes par Electrabel à ECS)

- environ 70 euros/mwh (estimation EDK pour ventes par Electrabel à ECS)

Posted by Eric De Keuleneer at 10:03