FORMATION ET CONTROLE DES PRIX

FORMATION ET CONTRÔLE DES PRIX

(Note de travail personnelle écrite en marge des réflexions du groupe d’experts)

1)  LE CADRE

Le transport et la production d’électricité ont été et sont dans de nombreux cas encore assurés en monopole (ou oligopole de divers producteurs agissant avec répartition de territoire et accord tarifaire, que nous appelons ci-après, par facilité, monopole), soit pour des raisons politiques liées à une volonté de service public, soit pour des raison de risque économique ou économies d’échelle (le « monopole naturel »), ou encore pour les deux raisons.

Le monopole sur le transport est probablement appelé à subsister durablement.  Celui sur la production évolue dans de nombreux pays, parfois rapidement, parfois plus lentement.  Ces monopoles, tant qu’ils subsistent doivent faire l’objet d’un contrôle, pour éviter que le monopoliste (ou les oligopolistes) ne pratiquent des prix supérieurs à l’optimum économique.

De tels prix sont néfastes pour les utilisateurs et pour l’économie en général.

Dans de nombreux pays, et particulièrement lorsque le monopoliste est privé, une procédure de contrôle (les anglo-saxons parlent de « regulation », ce qui est plus large que le strict contrôle) des prix doit veiller à éviter des situations de prix abusifs.  Parmi les méthodes de contrôle, on peut distinguer la méthode du cost plus, qui a traditionnellement été pratiquée aux Etats-Unis, et la méthode de price cap, pratiquée depuis une dizaine d’années en Angleterre.

La méthode de cost plus  vise à contrôler les coûts et à assurer  au monopoleur une rémunération stable.  Dans cette optique, le monopole sait qu’il ne pourra pas maximiser sa rentabilité, mais il est par contre assuré d’une rentabilité.

Les missions essentielles du contrôleur sont donc de bien définir cette rémunération garantie, ainsi que de veiller à ce que les coûts du contrôlé ne soient pas exagérés, ni du fait d’inefficacité de gestion, ni du fait d’un gonflement anormal de ses coûts, qui pourraient profiter directement ou indirectement au contrôlé ou à des parties qui lui sont liées.

Le price cap est un système différent, dans lequel le contrôleur fixe périodiquement un prix maximum, en prenant en compte les données existantes quant aux coûts.  Le contrôlé, entre les moments de révision des caps, peut maximiser le rendement de ses fonds propres ; ce système est censé encourager « naturellement » la réduction des coûts.

En Belgique, c’est le Comité de Contrôle de l’Electricité et du Gaz qui assume le contrôle.  Dans une déclaration formelle le 23 avril 1983, les sociétés privées et publiques du secteur ont signé la convention entérinant la transformation du Comité de Contrôle en un établissement d’utilité publique, et qui comporte en annexe les statuts de cet établissement.  Extrait de cette convention :

« L’article 4 des statuts précités dispose que :

… le Comité de Contrôle est chargé :

a) De veiller à ce que les tarifications et les conditions de fourniture de tous les clients en électricité et en gaz en ce compris les redevances, péages et frais à payer, soient établies en fonction de l’intérêt général ;

Dans l’esprit des organisations signataires de la présente déclaration, la notion d’intérêt général doit s’entendre comme impliquant que les tarifications et les conditions de fourniture, en électricité et en gaz, en ce compris les redevances péages et frais payés par les clients, établissent la transparence des coûts et conduisent aux prix les plus bas compatibles avec la qualité du service, tout en assurant l’équilibre financier des entreprises.

Cet équilibre financier requiert notamment que, pour assurer le financement des investissements nécessaires, les entreprises puissent avoir recours de façon normale aux marchés des capitaux national et/ou international tant pour leurs emprunts que pour la collecte de capitaux à risque.

Ce principe est, du reste, consacré dans sa convention du 29 janvier 1981 intervenue entre les secteurs publics (dont la SPE) et privé (dont le C.G.E.E.) de l’électricité, et approuvée par le Gouvernement au nom de l’Etat belge qui s’est engagé à y apporter sa collaboration.  Il doit être admis que ce même principe est applicable à toutes les entreprises, qu’elles soient publiques, mixtes ou privées, appartenant aux secteurs de l’électricité et du gaz. »(*)

Cet article 4 ne prévoit pas de façon précise une formule établissant des prix, mais la déclaration établissait de façon  claire les principes : les coûts doivent être transparents, les prix doivent être  les plus bas, donc les plus près possible des coûts (avec la réserve de qualité de service) déterminés en fonction des coûts, tout en laissant aux entreprises du secteur une rémunération qui doit leur permettre de faire appel aux marchés des capitaux.  Un tel système est en pratique un cost plus.  La convention de 1994 n’infirme pas celle de 1983, maintien le principe d’intérêt général et de transparence des prix, et introduit un objectif de « prix le plus avantageux possibles qui dans la comparaison européenne seront favorables tout en assurant les missions de service public… ».

2) LA RENTABILITE DES FONDS PROPRES DE L’ACTIVITE CONTROLEE EN    BELGIQUE

La rentabilité d’Electrabel est très suffisante pour lui permettre d’émettre des actions nouvelles.  Il semblerait que l’activité contrôlée lui laisse une rentabilité bien supérieure à son activité non contrôlée.  Les raisons de ce manque de rentabilité de l’activité non contrôlée méritent certainement un débat, mais ne concernent pas directement le contrôle.

La proportion de fonds propres utilisée dans le financement des activités régulées d’Electrabel mérite également un examen attentif.  Cette proportion a rapidement augmenté au cours des dernières années, ce qui a tendance à accroître la composante « coût des fonds propres » dans le prix de l’électricité.  En effet, le coût d’emprunt à long terme serait très nettement plus faible que le rendement octroyé actuellement aux fonds propres d’Electrabel.  Ceci mérite certainement un débat.

3) AMORTISSEMENTS ET AUTRES COÛTS

Le tableau ci-dessous est extrait des rapports annuels d’Electrabel.  En moyenne, les amortissements représentent plus de 10 % des actifs immobilisés.  Il nous est impossible de dire si ces amortissements sont normaux, ou s’ils sont excessifs.  Une analyse financière serait nécessaire, ainsi qu’une comparaison avec d’autres pays.  Le choix des autres pays devrait être judicieux, car il semblerait qu’en Allemagne par exemple, où au cours des dernières années l’électricité était particulièrement chère également, les politiques d’amortissement autorisées aux producteurs ont également été particulièrement élevées.

Les taux d’amortissement utilisés sont les suivants (en %) :

PRODUCTION TRANSPORT DISTRIBUTION R&D
Thermique Hydr. Electricité Gaz TVD
Bâtiments industriels et génie civil 5 2 4 4 4 5.56
Bâtiments administratifs 3 3 3 3 3 3
Immeubles d’habitation 3 3 3 3 3 3
Installations et machines 5 3 4 4 4 5.56 5
Lignes, câbles et conduites 2.5 4 4 5.56
Antennes 20
Fibres optiques 10 10
Dispatchings et télétransmission 10

En tout cas deux éléments objectifs semblent indiquer que les amortissements dépassent ce qui est économiquement nécessaire :

- La valeur de reconstruction du réseau de transport serait, aux dires mêmes d’Electrabel, deux fois supérieure à sa valeur comptable, c’est-à-dire 140 milliards par rapport à 70 milliards.

- Les centrales nucléaires devraient être totalement amorties entre 2001 et 2003, alors que leur durée de vie semble se situer encore au moins entre 15 et 20 ans.

Quant aux autres coûts, ils devraient également faire l’objet d’un examen détaillé.  Les frais d’entretien et de réparation, à 25 milliards par an, soit 10 % des actifs, semblent relativement élevés, et on peut se demander, dans la mesure où certains de ces frais auraient un caractère de gros entretien ou d’extension de capacité, s’il n’est pas plutôt indiqué de les activer.  La  non activation de ce type de frais (tout comme l’amortissement rapide) a pour résultat  d’accroître les coûts immédiat et de sous-évaluer l’actif.  Les postes de provisions et de coûts de services et biens divers sont également relativement élevés chaque année.  L’entreprise est en tout cas généreuse pour elle-même en dotation aux amortissements et aux provisions ainsi qu’en prestation de services et biens divers.  Elle a été moins prudente quant à ses obligations de pensions, particulièrement dans le secteur de la distribution.

L’ensemble des coûts annoncés devrait faire l’objet de contrôles, entre autres les achats de biens et services auprès de sociétés du groupe de l’actionnaire dominant d’Electrabel, et les dépenses encourues dans le cadre d’activités dont bénéficie cet actionnaire.  Electrabel est soumis aux procédures de marchés publics, mais ceci ne semble pas faire l’objet de contrôles.

Remarque : les « gains de productivité »

La notion souvent évoquée de « gain de productivité » mérite un débat : une société comme Electrabel, qui amorti de façon rapide, voit régulièrement et automatiquement certains équipement tomber à 1 franc dans son bilan.  Ces équipements étant en parfait état de marche (grâce entre autres à des entretiens soigneux) produisent toujours des revenus et n’occasionnent plus de coûts d’amortissement.  Cela ne représente pas un gain de productivité au sens économique du terme, mais bien une réduction de coût (des amortissements).

Parler de gains de productivité est dans cette mesure quelque peu fallacieux, mais on comprend que cela permet plus facilement de justifier que ces réductions de coûts puissent faire l’objet de marchandages, plutôt que d’être automatiquement ristournés en réduction de tarif aux consommateurs.  Une application correcte des statuts et conventions du Comité de Contrôle, semble pourtant signifier que toute réduction de coût doit se refléter dans les prix.

4) L’AVENIR, PRICE CAP, COST PLUS OU AUTRES

- La rémunération des fonds propres, le niveau des fonds propres, et les politiques d’amortissement sont des paramètres essentiels dont l’analyse doit faire l’objet d’un examen constant de la part des contrôleurs.  A tout le moins, on peut dire que le Comité de Contrôle ne nous a pas communiqué des analyses documentées à cet égard.

La Belgique semble représenter un cas où le contrôlé a capturé son contrôleur.    Le métier de contrôleur est de toute façon difficile et notre propos n’est en rien de suggérer des reproches, mais notre conviction est que le système de contrôle doit être revu en profondeur, non pas tellement quant à ses objectifs, mais quant aux méthodes pratiquées utilisées et plus encore quant aux contrôles.  Les objectifs de transparence des coûts et d’intérêt général ne font pas suffisamment l’objet de contrôles et d’évaluation.  Ceci est une des causes essentielles du niveau de prix trop élevé de l’électricité en Belgique.

Il semble en tout cas important dans ce cadre de suggérer des mesures qui devraient permettre une amélioration substantielle des contrôles, sur l’ensemble des coûts des activités contrôlées, et une amélioration de la méthode.  La définition de la composante NE doit en tout cas être revue, car elle est un facteur anormal d’accroissement des coûts, et n’est pas conforme aux principes définis dans les statuts et conventions.

- La méthode utilisée jusqu’à présent a aussi permis des dotations très généreuses aux amortissements ; ce dernier point devrait se traduire automatiquement par des réductions de prix dans les années à venir, plusieurs outils étant complètement amortis.

Cet automatisme a été confirmé par certaines parties contrôlantes du Comité de Contrôle, et il est explicite dans le courrier que l’Administrateur délégué de la FEB a envoyé au Gouvernement pour se plaindre de ce que le Comité de Contrôle qu’il préside ait été interpellé par le Groupe d’Experts.  Il faudrait cependant vérifier s’il est bien appliqué dans les plans à court terme du Comité de Contrôle.

- Un système de price cap fixe des prix maxima, valables durant une certaine période (3 ans, 5 ans, …), qui laisse aux industriels une rentabilité sur fonds propres raisonnable ; tous les gains de productivité futurs sont pour les industriels.  Ce système a été utilisé par les utilities (eau, gaz, électricité) anglaises; il est probablement responsable des conséquences sociales les plus brutales et des niveaux de profits souvent jugés excessifs dans le système anglais au cours des premières années d’application.  Ce système serait à notre avis encore plus éloigné des principes d’intérêt général du Comité de Contrôle, et nécessiterait une modification de ses statuts.  Nous croyons qu’un tel changement serait particulièrement peu avisé.  En effet, il risque de priver définitivement les consommateurs (particulièrement les ménages), qui ont le plus souffert des inconvénients du système dans le passé, des avantages que le système pourrait leur offrir dans un avenir proche et qui dans l’esprit des contrôlants étaient implicitement promis.  Un système de price cap  aurait également pour effet d’encourager  subitement une modification en profondeur de la politique sociale d’Electrabel, qui serait à tout le moins en contradiction avec la tradition du secteur, et pourrait représenter un risque de troubles.

L’abandon d’un système de cost plus en ce moment ferait ressembler les consommateurs d’électricité captifs  à un particulier qui a acheté une voiture en leasing en acceptant de payer des mensualités élevées, parce qu’on lui a dit qu’il en profiterait plus tard sous forme d’une valeur de rachat très bon marché, et à qui l’on dirait à l’échéance de son contrat qu’il n’avait pas bien lu celui-ci et que le bénéfice de ses mensualités élevées antérieures reviendra plutôt à sa banque.

Un système de cost plus doit être appliqué pour le GRT qui a une vocation naturelle à être une société d’intérêt général, et dont les bénéfices doivent être strictement définis.  Un système de cost plus doit rester en vigueur pour les prix facturés aux consommateurs maintenus captifs.

Il est clair cependant qu’un tel système de cost plus, conforme aux principes définis dans les statuts du Comité de Contrôle, devrait être appliqué avec des moyens beaucoup plus larges d’investigation et de contrôle par une instance de Contrôle beaucoup plus efficace.

- La problématique des stranded costs mérite également une réflexion à la lumière de cette analyse : la collectivité belge devrait supporter sous forme de stranded costs (qui représenterait un accroissement de coût pour le consommateur, même s’ils sont payés par les producteurs étrangers) des frais qui auraient normalement dû être pris en charge au cours des années passées, et ne l’ont pas été pour permettre, via des dotations aux amortissements et autres dépenses, la mise en place d’un véritable trésor caché chez Electrabel.  Il semble qu’une analyse et un débat contradictoires devraient permettre de déterminer si la dotation aux fonds de pensions (tant en production qu’en distribution), qui est tout à fait indispensable, ne devrait pas en priorité être assurée par l’utilisation du trésor caché.  Ce « trésor caché » doit d’une façon ou d’une autre revenir aux consommateurs, à travers des prix bas tant que subsiste le système régulé, et à travers la mise en place d’un système de stranded benefit permettant de financer des programmes d’URE et d’autres initiatives au bénéfice de l’ensemble des consommateurs.

(*) Cette convention a été signée par :

Le Comité de Gestion des Entreprises d’Electricité (C.G.E.E.), Section Production et Section Distribution, ainsi que les entreprises suivantes :

Les sociétés privées de Production d’Electricité : INTERCOM – EBES –UNERG; La Société publique de Production d’Electricité (SPE); Les Sociétés privées de Distribution d’Electricité : INTERCOM – UNERG – EBES; La Section Figaz pour la Coordination du Transport et de la Distribution du Gaz : (CTD-GAZ); La Société de Transport de Gaz : DISTRIGAZ; Les Sociétés privées de Distribution de Gaz : ANTWERPSE GASMAATSCHAPPIJ (AGM) – INTERCOM – UNERG – EBES

Posted by Eric De Keuleneer at 6:52